mardi 30 avril 2013

Buta: Frères à la vie, frères à la mort


Le 30 avril 1997, quarante jeunes élèves du séminaire de Buta étaient assassinés par un mouvement rebelle.
Les jeunes élèves resteront gravés dans l’histoire du Burundi comme les « martyrs de la fraternité » qui ont choisi de mourir unis plutot que de céder face à des bourreaux qui leur demandaient de se séparer en hutus et en tutsis. Le message qu'ils nous ont legué est clair : au delà de ce qui nous divise, il y a ce qui nous unit et ce qui unit les humains est plus fort que ce qui semble les diviser: c'est la dignité humaine.
Oui, la mort dans l’union de ces jeunes est un exemple de fraternité interethnique que les politiques en mal d’inspiration ont nié et instrumentalisé depuis l’indépendance pour des intérêts qui sont autres que ceux du peuple burundais, jusqu’ à provoquer les massacres et tous les événements tragiques qui font l’ombre à la vocation du peuple burundais que sont la paix et la prospérité.
 Buta est un symbole, non pas parce que des gens y sont morts (ça mourrait partout à cette époque- là), mais parce que les victimes ne sont pas seulement des victimes, mais des résistants qui refusent qu’on leur impose la haine de l’autre. Ils sont à limage de la société burundaise, qui est aussi devenue victime de cette haine, devenue à son tour l’instrument politique le plus dominant qui sert de cuisine préférée à ceux qui veulent accéder au pouvoir ou le conserver.
 Buta est un symbole, non pas parce ces jeunes ont été victimes du CNDD, puisqu’ ailleurs, d’autres Burundais ont été victimes d’autres mouvements, d’autres armées et d’autres « écoles du crime », comme ils sont nombreux dans notre pays. C’est un symbole parce que ses victimes n’ont pas d’autres qualificatifs, ils ne sont ni hutus ni tutsis, ni du nord ni du sud : ce sont des victimes de la folie des hommes. Ce qui est important, c’est que la justice soit faite à toutes les victimes, et que l’impunité qui règne autour de ceux qui se sont fait la spécialité de tuer s’arrête à jamais. Il n y pas de bons et de mauvais victimes, même si certains militants anti-génocidaires ou anti-putschistes ont tendance à l’oublier.
Les « martyrs de Buta » devraient être un repère pour la réconciliation nationale. Au delà des ethnies, des partis politiques ou des régions, il y a des hommes qui cherchent la dignité de vivre.
 Que ce message soit écouté et entendu par tous les Burundais qui, en cette période d’incertitudes, manquent de repères. Les gens innocents continuent à mourir pour leurs idées et leur sympathie politique sous le silence complice des responsables de notre pays qui ont la responsabilité de protéger tous les citoyens, burundais ou étrangers.
Hier, nous nous souvenions des « événements » d’avril 1972 dont les victimes appellent « génocide » même si aucune instance de l’ONU ne l’a pas encore reconnu comme tel.  Mon amie, comme des milliers d’autres Burundais, n’a pas encore oublié son père emporté par cette folie alors qu’elle n’avait que 3 ans. « La date d'aujourd'hui est en même tant mon moteur pour agir, mais aussi une source de déprime énorme! »
Comme le malheur ne vient jamais seul, sa mère aussi a été emportée par d’autres crimes à Kamenge 6 mars 1994, là aussi, pas de corps à la famille!
L'important, dit-elle, est qu’aucun autre enfant burundais ne subisse ça, sous un régime soi-disant démocratique! Il n’y a pas de meilleur souhait pour notre pays.

dimanche 21 avril 2013

Jeanne Gapiya au Québec : « Aidez-nous à faire plus! »



Par Diomède Niyonzima,  Poète, Ecrivain, Journaliste.

Et si elle n’existait pas, que seraient-ils devenus?

Jeanne Gapiya , ce nom qui rime avec combat, détermination et courage. Son engagement et son militantisme en faveur des personnes vivants avec le VIH/SIDA au Burundi lui ont valu une reconnaissance à l'échelle planétaire.depuis 27 ans, elle fouille recoins et espaces, affronte hivers et étés pour alléger la souffrance des orphelins et veuves victimes du SIDA.

Ce vendredi 19 avril 2013 Jeanne Gapiya était au centre Miels Québec. Son message : rencontrer les Burundais et les amis du Burundi pour les sensibiliser à la cause des séropositifs et Sidéens au Burundi. C’était aussi une occasion d’échange d’expérience entre l’ANSS et Miels Québec, deux organismes qui luttent contre la discrimination des personnes vivant avec le VIH malgré des zones d’intervention et des modes opératoires différents.
Comme l’a rappelé Louis David de Miels Québec, le SIDA est un fléau mondial et aucun pays n’est épargné, d’où la nécessité d’agir ensemble. Il a rappelé que  même dans les pays développés dont le Canada, de tels centres jouent un grand rôle dans leurs communautés respectives. Les gens oublient que le sida existe et qu’il continue à faire des ravages, se désole-t-il.

Avant de demander l’implication des personnes qui étaient présentes, Jeanne Gapiya a présenté les réalisations qui font la fierté de l’ANSS depuis 1995.Elle a parlé de la prévention et du dépistage, de même que de la prise charge médicale et psychosociale. Ces activités psychosociales sont importantes et complémentaires aux médicaments. Elle a fait savoir que l’ANSS fournit une aide alimentaire aux personnes sans moyens, enseigne des activités génératrices de revenus, organise  des ateliers culinaires. Elle a ajouté aussi que leur association paie le loyer pour les orphelins et scolarise  les enfants. Et de rehausser le ton : « aidez-nous à faire plus! »

Joe Ndorere, étudiant à l’Université Laval, est optimiste. Il fait état de la compréhension, du soutien, de l’accompagnement et du traitement dont bénéficient les personnes vivant avec le VIH aujourd’hui. Le temps passe et les mentalités changent, observe-t-il.
Pour qu’une génération sans Sida soit envisageable, Joe Ndorere fait appel à la diaspora burundaise pour s’y impliquer et montrer aux autres donateurs et bienfaiteurs qu’ils sont capables de relever leurs défis, car conclut-il, aide-toi et le ciel t’aidera
Soulignons que les consultations ont déjà commencé pour former une équipe qui mobilisera les Burundais de la diaspora du Québec pour chercher des fonds afin de financer les activités de l’ANSS au Burundi.
Jeanne Gapiya, elle,  continue sa tourné Canadienne  et tiendra une soirée de gala à Montréal le 27 avril. Elle partira ensuite à Ottawa pour y rencontrer quelques cadres de la coopération canadienne.

Diomède Niyonzima 

vendredi 12 avril 2013

FORSC : LE BILAN DE PACIFIQUE NININAHAZWE


Pacifique Nininahazwe, président sortant du FORSC

Jean-Marie Ntahimpera : Bonjour M. Pacifique Nininahazwe. Vous venez de terminer votre dernier mandat à la tête du FORSC. Quel  bilan faites-vous de votre action ?

Pacifique Nininahazwe : L’objectif spécifique de FORSC est de Renforcer le positionnement et la visibilité de la Société Civile afin de contribuer efficacement à l’émergence et à la consolidation d’un Etat de droit au Burundi.

Au cours de mes deux mandats à la tête de FORSC, je me suis particulièrement attelé à la réalisation de cet objectif. Je fais le constat, à la fin de mon dernier mandat, que la visibilité de la société civile burundaise a été renforcée, que sa voix est plus audible. La société civile s’affaiblit lorsqu’elle perd de vue les causes à défendre et lorsqu’elle se laisse traverser par des divisions internes et des compétitions entre organisations. J’ai mis toutes mes énergies à créer ou à favoriser des synergies de plaidoyer autour de thématiques rassembleuses ; la Campagne Justice pour Ernest Manirumva et la Campagne contre la Vie Chère sont des résultats plus visibles de cet engagement.

Je me suis également employé à faire connaitre la société civile burundaise et ses combats sur la scène internationale. J’ai trouvé une société civile active mais moins connue dans les réseaux internationaux, je termine avec une société civile citée en exemple dans la région. La connexion avec des organisations internationales, la participation à des foras internationaux, la connaissance et l’utilisation des mécanismes internationaux de droits de l’homme a été renforcée au cours de ces quatre dernières années. Ce dynamisme a par ailleurs été salué par le Secrétaire Général des Nations-Unies dès sa sortie d’avion lors de sa visite au Burundi en juin 2010.

La protection des défenseurs de droits de l’homme (DDH) a été au cœur de mon mandat, surtout après l’assassinat d’Ernest Manirumva intervenu juste un mois après mon élection en 2009. Avec mes collègues, nous avons bâti une très bonne synergie entre les défenseurs et j’ai agi comme le porte-voix des défenseurs en danger auprès de tous ceux qui pouvaient leur venir en secours, notamment auprès des différentes organisations et mécanismes internationaux de protection des défenseurs de droits de l’homme. Nous avons été particulièrement actifs chaque fois qu’il y avait un cas d’emprisonnement d’un défenseur. On se souviendra notamment de la mobilisation pour la libération du journaliste Jean-Claude Kavumbagu, du Bâtonnier Isidore Rufyikiri ou du président de PARCEM Faustin Ndikumana. En collaboration avec Amnesty International, nous avons mené un projet innovant de jumelage entre des défenseurs du Burundi et des parlementaires fédéraux belges. Le recours aux parlementaires étrangers n’était pas un défaut de patriotisme mais se justifie par le fait que notre gouvernement écoute davantage les bailleurs de fonds plutôt que ses citoyens et que notre parlement reste majoritairement insensible aux menaces sur les DDH. Ce jumelage a pu jouer sur des cas de menace sur un défenseur même non impliqué dans le jumelage (notamment lors de l’emprisonnement du président de PARCEM Faustin Ndikumana) ou pour ouvrir les portes des deux chambres du Parlement Fédéral Belge aux DDH du Burundi. J’aurais enfin aimé terminer mon mandat après avoir obtenu une loi sur les défenseurs de droits de l’homme. J’espère que mon successeur continuera ce combat.

Le chemin vers l’établissement d’un Etat de droit au Burundi est encore long. Au cours de mon mandat, FORSC a dénoncé plusieurs cas de violations graves de droits de l’homme, a fait diverses contributions et a pris part à plusieurs plaidoyers, notamment pour l’indépendance de la justice, sur les libertés publiques, sur le traitement des crimes du passé, pour la mise en œuvre de la politique de tolérance zéro contre la corruption, pour la primauté du droit et la prise en compte des besoins de la population dans les politiques nationales.

De tous ces combats la réalisation dont je suis le plus fier est la mise en place d’une Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme. Je pense aussi que mon engagement sans réserve a fait des émules, je vois de plus en plus des burundais qui osent s’exprimer en bravant toutes sortes de menaces. Cela me renforce dans ma conviction que « quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finira par se lever ».

Globalement j’ai l’impression que j’ai réussi la mission que je m’étais assignée. Sous mon mandat, FORSC s’est développé et acquis une telle visibilité que les gens confondent aujourd’hui les vocables « FORSC » et « Société civile ». En ce qui me concerne, j’ai été tellement présent que mes détracteurs pensaient que je suis un Délégué Général indéboulonnable depuis la création de FORSC (pourtant je suis le 3ème délégué général) tandis que ceux qui m’aiment pensent encore que je suis dans mon premier mandat et refusent de croire à la fin de mes mandats.
En terminant, je regrette le malentendu qui a persisté entre FORSC et le Gouvernement.

Jean-Marie Ntahimpera : Quel est le meilleur souvenir que vous garderez de votre présidence du FORSC ?
Pacifique Nininahazwe : Un soir de juillet 2012, en rentrant à la maison, j’ai trouvé le message d'une femme (que je ne connaissais pas) qui me suppliait de passer le lendemain matin à la BSR (un bureau de la police à Bujumbura) pour m'enquérir de la situation d'une fillette détenue sur plainte d'une famille qui l'accusait de vol! La fille avait été "bonne" dans ladite famille avant d’être chassée de son travail sans payement. Le message disait: "je vous prie Pacifique d'y passer, la fille est une orpheline que j'ai décidé d'héberger sans aucun lien de parenté. Nous, ils ne nous respectent pas, mais rien que ton passage peut la sauver; ils penseront en te voyant que nous ne sommes pas si petits..." Le lendemain, 07h30 du matin, j’étais au bureau de la BSR. J'ai demandé à rencontrer la fillette et j’ai découvert une gamine de 11 ans! Je n'en croyais mes yeux, j'ai senti une telle révolte en moi que je me suis à peine retenu devant l'OPJ qui me racontait qu'il venait juste de constater la minorité de la jeune Claudine; pourtant il l'emprisonnait depuis 2 jours. Il l'a libérée illico, mais je suis parti en pensant à tous ceux qui souffrent de la sorte, simplement parce qu'ils sont "petits" comme disait la femme dans son message! Enfin... ils ne sont pas si petits qu'on le croit. Et ce sont ces petits qui fonts les grands !
L’autre meilleur souvenir est la journée de la grève générale suivie dans tout le pays en mars 2012. Le peuple a montré qu’il se retrouvait dans nos messages.

Jean-Marie Ntahimpera : Quel a été le moment le plus difficile de votre mandat ?
Pacifique Nininahazwe : J’ai connu toutes sortes de pression au cours de mon mandat : la filature, les menaces de mort, la diabolisation par des services étatiques, diffamation, accusation de coup d’Etat, des mensonges éhontés, exil, suppression de FORSC, etc. Chaque jour en me levant, j’étais conscient que cela pouvait être mon dernier jour sur la terre et j’étais sérieux en disant aux gens que mon espérance de vie était de 24 heures renouvelables. Comme tous les pères de famille, je craignais pour la sécurité de mes enfants, ces innocents qui pouvaient subir les conséquences de mon engagement citoyen alors que je ne les ai jamais consultés avant de m’engager. J’oublierai difficilement la voix de ce parlementaire (envoyé d’un très puissant) qui me regarda un jour droit dans les yeux pour me dire : « ne veux-tu pas voir tes enfants grandir ? ». En guise de réponse, j’ai souri et j’ai feint de n’avoir rien compris ! J’ai appris à vivre avec ces menaces quasi-permanentes, j’ai développé des mécanismes de prudence et j’ai continué ma lutte en sachant que je n’étais pas seul à subir ce genre de pression. Souvent j’ai tenu grâce au soutien populaire : « ma grand-mère m’a chargé de te dire qu’elle prie chaque soir pour toi », « Paci, tiens bon nous prions pour toi et nous savons que rien ne va t’arriver », « Oh c’est toi que je vois souvent à la télévision, tiens bon pour nous protéger », « fais attention Paci », voilà des types de messages que je reçois souvent dans la rue, au marché, par sms, via facebook.
Les moments difficiles je les vivais quand des citoyens venaient me confier leurs fardeaux, les situations d’injustice qu’ils traversaient sans que j’arrive à trouver des solutions. Nombre d’entre eux ne voulaient même pas que j’en parle, c’est à ces moments que je découvrais le désastre de la terreur : c’est désespérant de voir une personne presque finie mais qui espère encore que son silence est en train de le protéger.
Le moment le plus difficile de mon mandat, je l’ai vécu en novembre 2011, à Gitega, dans la maison de feu Léandre Bukuru, le militant du MSD décapité dont la tête a été jetée dans une latrine tandis que le corps était enterré loin sur une autre colline. Les cris de sa femme, réclamant sur les media le droit d’enterrer ensemble les deux parties du corps de son mari, m’ont fendu le cœur. On le lui a refusé, elle n’a jamais pu enterrer son mari même après la découverte des deux parties ! C’était cynique, effroyable. C’est à ce moment que j’ai mobilisé des amis via facebook une visite de soutien à la famille du défunt. En quittant Bujumbura, j’avais dans mon véhicule un membre de la famille de Léandre, un membre pourtant stratégique du CNDD-FDD, mais qui ne voulait pas qu’on établisse les liens de parenté. Arrivé chez feu Léandre, j’ai trouvé une famille désemparée dont les voisins avaient peur de visiter (craignant d’être taxés de militants de l’ADC par certains agents qui surveillaient continuellement la maison). En notre présence, l’épouse de Léandre a pu finalement pleurer, puis ses enfants… Mon petit discours de consolation a été interrompu trois fois par des cris stridents aussi bien de la famille de Léandre que ceux des membres de ma délégation ; C’est à peine si j’ai pu me retenir moi-même et j’ai probablement prononcé ce jour-là le discours le plus émouvant de mon mandat. Il m’a été rapporté que des ténors du pouvoir ont versé des larmes en écoutant ce discours à la radio qui leur rappelait les moments durs de leur enfance après la tragédie de 1972…Dommage que les victimes peuvent facilement oublier et devenir de pires bourreaux !

Jean-Marie Ntahimpera : Vous avez beaucoup milité pour la Commission Vérité et Réconciliation, mais elle tarde à venir. Quel est le problème ?
Pacifique Nininahazwe : Je peux me tromper, mais je situe le problème dans l’engagement de nos dirigeants, plus précisément dans les hésitations du Dirigeant burundais ! Il est rare qu’un tel processus réussisse sans le courage et la détermination du chef de l’Etat ou du chef du Gouvernement. Peut-on imaginer que le processus de CVR pouvait réussir en Afrique du Sud sans la clairvoyance et la personnalité de Mandela ? Il faut reconnaitre que les étapes qui ont réussi chez nous, notamment le processus qui a mené à l’Accord d’Arusha, ont fortement dépendu en partie du courage du Président Buyoya, lui qui subissait à la fois des tirs croisés des extrémistes hutu et ceux des extrémistes tutsi de son camp. J’ai aujourd’hui l’impression que la position du Président Nkurunziza n’est pas claire sur cette question et ses réponses me semblent évasives et laconiques. Est-il vraiment déterminé à amener les burundais à se dire toute la vérité sur leur histoire ? En août dernier il disait qu’il ne faudra pas « kuzura akaboze » (traduction littérale, ne pas remettre à la surface les choses pourries), mais je me demande s’il y a des éléments qui pourrissent réellement en cette matière. Veut-il une vérité partielle qui se limiterait aux crimes de petites gens ou des périodes lointaines ou de ses adversaires politiques ? Veut-il le statu quo (oublions tout !) ? Ce flou et cette hésitation n’arrangent pas l’avancement de ce processus ; il est important que le président manifeste du courage pour « libérer » tout le monde : les victimes et les bourreaux.
Je m’inquiète en voyant le gouvernement préparer des lois en catimini, même sur un sujet aussi sensible. Je m’inquiète davantage après le vote de la loi sur la presse par l’Assemblée Nationale en ignorant les contributions des professionnels des media et de la communauté internationale. Mais je garde encore ce mince espoir qu’on n’osera pas légiférer ainsi sur la CVR. Pour mener à la réconciliation véritable,  le processus de mise en place de la CVR requiert le plus large consensus entre les acteurs politiques au Burundi.

Jean-Marie Ntahimpera : Votre autre champ de bataille a été la justice pour Ernest Manirumva. Vous y croyez encore ?
Pacifique Nininahawe : Le monde a beaucoup évolué, le pays a évolué et ces évolutions seront encore plus éclatantes dans les années à venir. Il y a quinze ans, on n’aurait pu tuer Ernest de la même manière, il y aurait eu à peine des murmures réservées dans les familles ou en petits groupes. Aujourd’hui on tue et l’on voit une mobilisation et un tapage qui durent quatre ans ! Les assassins d’Ernest peuvent jouer sur le temps, ils payeront un jour.
Le dossier a été jugé par deux instances judiciaires et il se trouve à la dernière étape, celle de la cassation. Je n’attends pas des miracles à ce niveau. Il restera à espérer le changement du pouvoir ou continuer à creuser pour trouver une instance internationale compétente pour recevoir ce cas.
Le seul commentaire que je peux faire sur le jugement déjà est mon étonnement de constater un juge qui n’a pas besoin de lumière avant de rendre son jugement. Toute personne qui s’intéressera à ce dossier se heurtera à des questionnements sans réponse, comme :
-          Pourquoi le juge a-t-il préféré travailler sur le rapport de la troisième commission dont le dernier paragraphe conclut que l’enquête n’est pas terminée et qu’il faudra la compléter par le Procureur Général près la Cour d’appel de Bujumbura ?
-          Qu’est-ce qui a empêché au juge de chercher à savoir pourquoi des officiers de police avaient fait des déclarations contradictoires et n’a pas cherché à les confronter pour avoir la lumière sur le rôle de chacun comme le suggérait la troisième commission ?
-          Pourquoi le juge n’a pas voulu avoir les relevés téléphoniques des quatre numéros suspectés par la 3ème commission sur les appels effectués dans la nuit du 8-9 avril 2009 (des numéros appartenant à quatre ténors des services de renseignements et de la police nationale) ?
-          Pourquoi le juge n’a pas ordonné les tests ADN sur certaines personnes suspectées pour les comparer aux échantillons pris par le FBI sur les lieux du crime et certains objets ?
-          Pourquoi le juge n’a jamais voulu savoir s’il a un lien entre l’assassinat d’Ernest Manirumva et celui du Capitaine Pacifique Ndikuriyo comme suggéré par la 3ème commission d’enquête ?
-          Pourquoi le juge n’a jamais cherché à savoir le sort réservé à certains policiers attachés à la sécurité de certains officiers de police qui seraient portés disparus après avoir été cités dans le dossier de l’assassinat d’Ernest Manirumva ?
-          Pourquoi le juge n’a jamais cherché à entendre le policier Juvénal Havyarimana, réfugié aux Etats-Unis et qui affirme avoir participé aux préparatifs et à l’exécution de l’assassinat d’Ernest Manirumva ?
-          Pourquoi le juge n’a-t-il jamais cherché à savoir si réellement des armes ont été commandées dans la police et ne sont jamais arrivées dans les stocks de la police alors que l’OLUCOME affirme que Manirumva enquêtait sur ce trafic et qu’un rapport des experts des Nations Unies l’affirme ?
-          Qu’est-ce qui a empêché au juge de chercher les raisons de l’interdiction de toutes les manifestations organisées par la société civile en vue de demander la vérité sur l’assassinat de Manirumva?
-          Etc
Tant que la justice burundaise ne répondra pas efficacement à ces questions, elle ne sera pas crédible dans ce dossier !

Jean-Marie Ntahimpera : Vous êtes très attaché aux libertés publiques. La nouvelle loi sur la presse adoptée récemment par l’Assemblée Nationale est qualifiée par les professionnels des media de « liberticide ». Le Burundi va-t-il rester le « pays des libertés » ?
Pacifique Nininahazwe : Trois projets de lois se trouvent en ce moment au parlement et tendent à restreindre la liberté de la presse, la liberté de réunion et de manifestation publique, la liberté d’association ; donc les libertés essentielles. Ces lois ont été élaborées en catimini par le Gouvernement, le Parlement avait promis de considérer les contributions « des uns et des autres » (une expression actuellement en vogue au Burundi et qui risquent de signifier « de personne »). L’exemple donné la semaine passée à l’Assemblée Nationale est plutôt inquiétant sur la suite qui sera réservée aux autres textes. Mais qui trompe qui dans ce processus ? Avant le pouvoir en place, d’autres avait fait mieux pour verrouiller l’espace public. Le CNDD-FDD a démontré qu’aucune force ne peut plus se mettre en travers de la volonté populaire et prospérer. Les droits et les libertés sont inhérents à la personne humaine, on ne peut plus les arrêter. Je fais confiance au peuple burundais : il est patient et il sait endurer mais il ne s’est jamais laissé perdre pour de bon (« warapfunywe ntiwapfuye »).
Comme toujours, je reste optimiste avec un mince espoir que le Sénat fera preuve de sagesse sur ce projet de loi décrié partout. 

Jean-Marie Ntahimpera : Dans une interview accordée à Jeune Afrique, le Président Pierre Nkurunziza laisse entendre qu’il briguera un troisième mandat en 2015 si son parti le lui demande. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Pacifique Nininahazwe : Depuis la nomination de l’actuelle équipe de la CENI, je n’ai aucun doute que Pierre Nkurunziza est bien lancé sur un troisième mandat. Cela m’étonnerait d’ailleurs qu’il ne pense pas déjà au quatrième mandat. Ce qui fait davantage mal dans cette interview, c’est la place qu’il accorde aux décisions de son parti par rapport aux dispositions constitutionnelles. Dans sa conception du pouvoir, la décision du parti prime ! Mais le parti, c’est qui ? En répondant à cette question, on risque de se retrouver dans la même conception de l’Etat, des lois et du pouvoir que Louis XIV.
Même en période de dictature militaire, les dirigeants burundais ont toujours eu du mal à dépasser le cap des 10 ans de pouvoir de manière continue. Je suis de ceux qui pensent qu’il n’a pas le droit d’être candidat président en 2015 mais qu’il pourra obtenir le troisième mandat (au regard du contexte politique actuel), seulement ce pourra être un mandat de trop.

Jean-Marie Ntahimpera : Quels sont les défis  qui attendent votre successeur à la tête du FORSC ?
Pacifique Nininahazwe : Maintenir le niveau actuel de solidarité au sein de la société civile burundaise, arriver à créer un climat de confiance avec le gouvernement sans entrer dans la complaisance, maintenir une distance raisonnable avec l’opposition politique, éveiller les masses paysannes et les intéresser aux causes de la société civile, continuer l’ouverture de la société civile burundaise à la sous-région, à la région et au monde.
Je lui souhaite pleins succès dans ses responsabilités.

Jean-Marie Ntahimpera : Quelle est la suite de votre engagement ? Quels sont vos projets ?
Pacifique Nininahazwe : Dans un premier temps, je dois terminer mes deux autres mandats au sein de la société civile : celui de la présidence du FOCODE mon organisation d’origine et la présidence de la Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale. Ces deux mandats me prendront 2 ans. J’ai plein d’autres projets que je dévoilerai plus tard.

Jean-Marie Ntahimpera : Un dernier mot pour les Burundais ?
Pacifique Nininahazwe : J’aime notre hymne national : « Burundi bwacu », ce pays nous appartient à tous ! Ce sera une erreur de transformer le titre de l’hymne en « Burundi bwanje » ou « Burundi bw’abanje gusa ». Cela a toujours mené à la ruine, soit de l’auteur soit du pays. Restons solidaires et privilégions la voie du consensus.
Le 06 avril 2013, j’ai rencontré pour la première fois le beau-père du Président Cyprien Ntaryamira, il m’a laissé une sagesse burundaise que je ne connaissais pas et que je ne saurais traduire sans trahir « uwutazi ivy’isi avyita ivyiwe ! » Chacun devrait garder à cœur ces mots de sagesse.
J’aime ce pays surprenant et fascinant, je reste optimiste.

lundi 8 avril 2013

Pourquoi Nkurunziza n’est ni Bozizé, ni Gbagbo et Présidera jusqu’en 2020

Thierry Uwamahoro

Par Thierry Uwamahoro

Pour ceux qui avaient encore des doutes, l’interview que Pierre Nkurunziza a accordée à Jeune Afrique a levé toute équivoque : Nkurunziza, l’homme fort du Burundi et de facto leader du CNDD-FDD (en tant que Président du Conseil des Sages), sera bel et bien candidat aux élections présidentielles de 2015. Les condamnations de cette  candidature anticipée continuent à tomber et à lire les commentaires de pas mal d’internautes, Nkurunziza devrait apprendre les leçons qui s’imposent des cas Bozizé et Gbagbo  et changer de tir pour s’assurer un départ honorable de la présidence du Burundi. Pourtant, Nkurunziza n’a rien à s’inquiéter des sorts de Bozizé et Gbagbo et sa candidature sera validée par la cour constitutionnelle.

Contrairement à Bozizé qui commandait une petite armée affaiblie, Nkurunziza est assis confortablement à la tête de l’armée la plus aguerrie de la région des grands. Ce n’est pas une quelconque colonne de 23 jeeps de quelques rebelles qui délogeront Nkurunziza de son palais ; un palais protégé par une armée issue de la fusion des ex-FAB (la seule armée de l’ancienne CEPGL qui n’a jamais perdue une guerre) et des anciens FDD. Nkurunziza n’a pas à s’inquiéter non plus d’un quelconque coup d’état de la part de son armée; une  peur qui, en Centre Afrique, avait amené Bozizé à refuser l’équipement nécessaire à son armée. Au contraire, l’armée de Nkurunziza se perfectionne et impressionne sur des terrains somaliens où même la Marine américaine avait auparavant échoué. Par ailleurs, Dans la configuration actuelle des forces au Burundi, un coup d’état est quasiment impossible et ne serait qu’un suicide national.

Contrairement à Gbagbo, toute question de constitutionalité des candidatures aux présidentielles ou de légitimité des résultats des élections au Burundi seront décidées par des cours et institutions burundais. La Côte d’Ivoire de Gbagbo était sous mandat onusien (ou presque). Selon les accords de Pretoria de 2005, le processus et les résultats des élections devaient être certifiés par l’ONU dans le contexte de sortie de crise, en vue d’élections ouvertes, libres, justes et transparentes. Or, au  Burundi de Nkurunziza, toutes ces fonctions seront assurées soit par la CENI, la cour constitutionnelle, ou la cour suprême; des institutions dont les gérants ont été nommés exclusivement par Nkurunziza. Lui donneront-ils tort ou lui donneront-ils raison ? Si l’acquittement de Nkurunziza des crimes contre l’humanité par la cour suprême -- en violation des procédures selon les experts -- peut nous servir d’antécédent, il  y a raison à parier que la cour constitutionnelle donnera gain de cause à la candidature de Nkurunziza aux présidentielles de 2015. Les partis d’opposition, les commentateurs, les leaders d’opinion, les éditorialistes et autres experts arriveront à une conclusion différente dans la lecture de l’article 96 de la constitution, mais une seule opinion comptera : celle de la cour constitutionnelle. 
La constitutionalité de sa candidature en poche,  il sera tour de faire campagne. Candidat sortant, Nkurunziza se présentera encore une fois avec tous les avantages et honneurs que lui confère son titre de chef d’Etat (incumbency advantage en Anglais) et sera le candidat le mieux financé avec des structures dans chaque recoin de notre république. Il fera campagne formidable (rappellera que c’est lui qui a maintenu la paix au Burundi 10 ans durant, construit 2500 nouvelles écoles, amené la gratuité des soins de santé et de la scolarité, nommé le premier chef d’état-major général Hutu, prié 5 fois par jours pour le Burundi, etc) et il utilisera les moyens de l’état. L’Olucome criera scandale, mais comme disait Deo Hakizimana dans une récente interview « les ténors [du parti présidentiel actuel] agissent comme l’on sait (ntibagira ikinya !) ». Les chiens aboieront, la caravane passera. Nkurunziza, l’un des hommes politiques burundais les plus populaires (si pas le plus populaire) dont un récent sondage donne une cote de 61% (65% en milieu rural) au sein de la population burundaise croisera à la victoire.

Check, mate ! Cette victoire populaire justifiera l’aval de la cour constitutionnelle et protégera Nkurunziza  de toute forme de critiques aussi longtemps que l’élection sera accompagnée par le familier « les élections se sont globalement déroulées dans la transparence malgré quelques irrégularités » de la part des observateurs nationaux et internationaux. Cette victoire populaire sera aussi une différence marquante entre sieurs Gbagbo et Nkurunziza. Qui contredira la volonté du peuple et la légitimé héritée de la cour constitutionnelle ?


Si la présidence de Nkurunziza semble inévitable jusqu’en 2020, il ne s'ensuit pas que les partis d’opposition devraient croiser les bras, laisser faire ou pire faire la politique de la chaise vide comme en 2010. Pour ceux qui sont motivés par un changement profond au Burundi, la constitution donne des pouvoirs significatifs à l’assemblée nationale et au sénat. Aux partis politiques d’opposition de trouver des candidats formidables et crédibles pour les législatifs. Kigobe a besoin de débats vigoureux. Nkurunziza pourra régner jusqu’en 2020, mais un Kigobe multicolore sans majorité absolue détenue par un seul parti politique redynamisera la démocratie burundaise qui s’atrophie ces derniers jours. Par ailleurs, un Kigobe multicolore imposera un exécutif multicolore car Nkurunziza devra composer avec les partis siégeant à l’assemblée nationale. Si l’opposition obtient un score non-négligeable aux législatifs, la constitution du Burundi garanti un gouvernement d’union nationale. 

mercredi 3 avril 2013

Les anges anglicans perdent les ailes



La politique du ventre est au cœur des conflits qui gangrènent l’église anglicane du Burundi et qui opposent ses deux hommes forts, Mgr Pie Ntukamazina, évêque de Bujumbura et Mgr Bernard Ntahoturi, évêque de Matana et archevêque de l’église anglicane du Burundi. Lutte de pouvoir et conflits d’intérêts se mêlent. Chacun des ces deux barons donnerait privilèges et responsabilités aux gens de son « clan ». Il y aurait donc un clan de Matana derrière Ntahoturi et un clan de Rutana derrière Ntukamazina, qui se battent pour  le contrôle de l’église anglicane et de ses biens, et tous les coups semblent permis.

Comme la politique, les églises sont devenues un fond de commerce. Les évêques et autres prélats privatisent les églises comme nos hommes politiques privatisent l’Etat et le gèrent comme leur propriété. Et ce n’est pas la spécialité de l’église anglicane.

Le problème, c’est que au Burundi, les évêques se présentent comme la conscience morale du pays, et sont souvent sollicités pour jouer les pompiers quand ca va mal entre les acteurs politiques et sociaux. Ces conflits qui secouent les églises font tomber les masques, et nos anges perdent leurs ailes et retournent sur terre. Ce n’est pas une bonne nouvelle car les anges gardiens, on en a vraiment besoin dans une région aussi instable que la nôtre, où on craint toujours que notre âme soit dévorée par un diable, où on peut tout perdre a tout moment, y compris la vie. Apres des dizaines d’années de guerre et de privations, les églises sont devenues des refuges pour un peuple qui n’a plus de repères. Ce serait un coup dur pour des milliers de gens de découvrir que les prophètes en qui ils ont mis tant d’espoir sont aussi pollués par la corruption, le régionalisme, le tribalisme, la cupidité, que les hommes politiques par exemple.

A ceux qui ont transformé les églises en chambres de commerce, puisque c’est de ca qu’il s’agit, nous dédions ces paroles bibliques tirées de Matthieu 21, 12-13 : 
« Jésus entra dans le temple de Dieu. Il chassa tous ceux qui vendaient et qui achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs, et les sièges des vendeurs de pigeons.
Et il leur dit : Il est écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière. Mais vous, vous en faites une caverne de voleurs ».
Il n’est jamais trop tard pour refaire des églises des maisons de Dieu, et non pas de cavernes de voleurs.