Par Thierry
Uwamahoro
|
Thierry Uwamahoro |
Quelques mois avant les élections de 2010, il se lisait
sur pas mal de sites internet que l’opposition burundaise ne pouvait s’attendre
qu’à une victoire écrasante. Tellement il y avait eu une médiatisation de la
corruption, des malversations économiques, des violations de droits humains,
d’injustice, de gouvernance médiocre…le seul choix digne que le peuple pouvait
s’offrir était de balayer le régime Cndd-Fdd et d’introniser quelqu’un (n’
importe qui) de l’opposition; se disaient pas mal de (pseudo)-analystes
politiques. Certains avaient même avancé (inventé ?) des sondages commandités
par les services de renseignement qui donnaient Nkurunziza perdant avec un
score médiocre. Le 24 mai 2010 fut d’une telle surprise (un paradoxe pour pas
mal de gens) que la seule explication possible était l’existence d’un hold-up
électoral. La suite se retrouve dans les annales historiques du Burundi. Que
peut-on apprendre de 2010 pour prédire 2015 ?
Mi-chemin vers les élections de 2015, on lit dans
certains journaux, on entend dans certaines radios, et nos amis (pour ceux qui
sont loin du pays) nous informent que la pauvreté et la faim font rage, que les
taxes Nkurunziza ne sont qu’ une goutte qui va déborder la vase, que l’
insécurité règne, que la corruption est devenue le mot d’ ordre, que les soins de santé sont devenus plus nauséabonds
que les couloirs des hôpitaux publics eux-mêmes, que le paysannat est prêt à
arracher les caféiers…qu’ enfin, la marmite bouillit et le couvercle va s’
envoler à n’ importe quelle heure.
Effectivement, comme en 2010, il devient incompréhensible
que le Cndd-Fdd puisse être populaire dans de telles conditions. Mais, comme en
2010 effectivement, il n’existe pas de sondages scientifiques fréquemment
conduits au Burundi pour nous informer de l’humeur général de la population
burundaise, au-delà de nos cercles d’amis et sources préférées
(biaisées ?) d’information. Le seul et unique sondage d’opinion scientifiquement
crédible depuis le début de la deuxième législature de Nkurunziza est celui
produit en début 2013 par GRADIS (Groupe de Recherche et d’Appui au Développement
des Initiatives Démocratiques) en collaboration avec l’université de État du
Michigan aux États-Unis et celle du Capetown en Afrique du Sud et en
partenariat avec le réseau Afrobaromètre. Quoique reconnaissant les limites
d’un sondage unique, que présage-t-il?
Avec une erreur de plus ou moins 3%, les intentions de
vote pour 2015 s’énoncent comme suit; Cndd-Fdd:
54%, opposition: 13%,
indécis/réticents/silencieux : 32%. A cela il faut ajouter que le
même sondage place la popularité du président Nkurunziza à 65% en milieu rural,
40% dans la ville de Bujumbura, et 61% au niveau national. Curieusement, ABP
Info note que le sondage de GRADIS révèle que 53% de Burundais interrogés sont
assez pessimistes sur les conditions économiques du pays et pensent qu’elles
sont mauvaises. 54% pensent que leurs conditions de vie sont mauvaises ou très
mauvaises. 65% des personnes interrogées ont indiqué qu’ils ne mangent pas à
leur faim. Que dire de ces statistiques ? Plein. Notons quelques points
saillants.
Le Cndd-Fdd et surtout le président Nkurunziza restent
populaires quoique nous dise une certaine opinion. Néanmoins, l’opposition (que
je trouve vaguement définie d’ailleurs) ne devrait pas pour autant déchanter.
L’électorat burundais n’est pas aussi déséquilibré en faveur du parti au
pouvoir comme aimeraient nous le faire croire les adeptes de l’aigle noir.
Quand 32% se réclament indécis ou réticents, c’est que leurs cœurs ne battent
pas/plus réellement pour le Cndd-Fdd. C’est qu’ils sont en quelques sortes
déçus. En ajoutant ces 32% au 13% qui se sont déjà déclarés pour l’opposition,
nous retrouvons un électorat qui est divisé 54-45 pour et contre le Cndd-Fdd (à
conditions que l’opposition se positionne en alternative sure contre le
Cndd-Fdd). Deux ans avant 2015, les dés ne sont pas encore jetés. Nkurunziza
pourrait gagner la présidence, mais le sénat et l’assemblée nationale ont plus
de chances de ne pas se retrouver monocolores en 2015 à l’instar de leurs
versions actuelles.
Mais, paradoxe ! Comment se fait-il que 54% de
burundais jugent leurs conditions de vie très mauvaises mais un pourcentage équivalent
se dit prêt à reconduire l’équipe Nkurunziza aux affaires ? Comment se
fait-il que 65% de burundais disent qu’ils ont faim, mais maintiennent
Nkurunziza comme leur leader préféré ? Comment se fait-il que la majorité
de burundais juge les performances gouvernementales pour faire face aux
différents problèmes économiques de mauvaises (selon ABP) mais préfèrent la
même équipe jusqu’en 2020 ? Est-ce parce que les burundais souffrent d’une
dissonance
cognitive ? Est-ce parce que l’opposition burundaise n’est pas
performante et ne se présente pas réellement comme une alternative
crédible ? Est-ce que ces pourcentages changeront maintenant que l’ADC a
annoncé qu’elle va lancer une plate-forme ouverte à toutes les forces vives de
la nation qui va se concentrer à trouver des solutions aux défis
socio-économiques qui minent notre nation? Voilà, plein de pistes à exploiter. Mais,
dans l’entre temps, une possible explication…
Enfoui dans les résultats du sondage GRADIS se trouve une
statistique qui vaut une dizaine de milliers de mots. Sur la question ultra-cruciale
de sécurité, 80% (quatre-vingt pourcent) de Burundais affirment que le niveau
de sécurité est satisfaisant. Rappelez-vous qu’il y a moins d’une décennie,
nous considérions (avec blagues mais non moins sérieux) que notre espérance de
vie était de 24 heures renouvelables. De là à 80% de burundais qui affirment
être en état de sécurité satisfaisant, c’est un pas géant. Un pas qui
expliquerait le paradoxe qu’est la popularité du Cndd-Fdd; quoique ce pas géant
ne devrait pas être crédité uniquement au parti au pouvoir. D’ici 2015, la tache énorme de ceux qui
veulent détrôner Nkurunziza sera d’amener un peuple affamé à faire une analyse
contrefactuelle en ce qui est de la question sécurité. Une analyse
contrefactuelle n’est jamais facile.
Note : puisque le rapport de GRADIS n’est pas
disponible en ligne, les données présentées se basent sur un découpage des
résultats du sondage d’opinion comme rapporté ici, ici,
ici, et ici.