jeudi 3 avril 2014

Et si l’Accord d’Arusha valait plus que la Bible?



Par Thierry Uwamahoro


Ma foi chrétienne est scandalisée que je puisse poser une question aussi maladroite et hérétique. Heureusement que mes amis chrétiens sont tellement ‘chrétiens’ qu’ils/elles sont prêts à me pardonner. Mais depuis un certain temps, dans leur frénésie d’amender la Constitution, le gouvernement et le parti au pouvoir à Bujumbura tiennent un certain langage anti-Arusha qu’il y a lieu de se demander s’ils comprennent (encore) d’où Arusha a tiré le Burundi. Ils semblent atteints d’une amnésie qui ne leur permet pas de voir cette différence nette entre le Burundi d’avant et après Arusha. Leur phraséologie préférée est que l’Accord d’ Arusha n’est pas la Bible. 

Je ne saurais dire ce que vaut la Bible pour un musulman, un athée, ou un animiste  burundais. Vaut-elle moins ou plus que l’Accord d’Arusha pour eux ? Il faudrait faire un sondage.  Mais ce qui est évident est qu’Arusha a nettement améliore la vie des chrétiens, musulmans, animistes, athées, hutu, tutsi, twa, hommes, femmes, jeunes, et vieux burundais. Paradoxalement, les Bibles dans les mains des Burundais depuis l’arrivée des colons n’avaient pas empêché que l’on se massacre par centaines de milliers. Pour certains, il faudrait absolument garder jalousement cet Accord plus qu’ils/elles s’accrocheraient même à la Bible. Qu’à cela ne tienne. 

Outre les changements de position du député BonavenureNiyoyankana qui a su retenir toute une nation en suspens, nous avons appris que le projet de modification de la Constitution  échoué au parlement pour deux raisons : le parti au pouvoir  tenait mordicus à ce que la nouvelle Constitution ne se réfère plus à l’Accord d’Arusha et exigeait la suppression de l’article 302 de la Constitution de 2005.En empruntant un langage religieux, Il y a lieu de se demander quel saint ou démon inspire cette obsession contre l’Accord d’Arusha. Est-ce seulement pour faciliter au président Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat (comme rendu évident par cette autre obsession contre l’article 302) ou se pourrait-il que le Cndd-Fdd n’a jamais cru dans l’Accord d’Arusha ?

Avec les derniers évènements qui semblent indiquer que le Burundi renoue progressivement avec son esprit d’antan d’exclusion politique et de violences politiques, il y a lieu de pointer à cette à cette situation pour erronément conclure que c’est une preuve que l’Accord d’Arusha n’était pas la médicine indiquée pour le Burundi. Mais cela serait comme conclure que la faute est à la Bible pour un born-again qui aurait renoué avec le banditisme. Si aujourd’hui le Burundi se trouve dans une spirale descendante vers la violence, ce n’est pas parce qu’on a trop appliqué l’Accord d’Arusha. C’est le contraire qui est vrai. Tel un convalescent dont la maladie s’empire pour n’avoir pas suivi les instructions du médecin, le Burundi souffre de l’application incomplète de l’Accord d’Arusha. Au lieu de ne plus se référer à cet Accord, il faut plutôt l’appliquer pleinement. 

Où sont les mécanismes de justice transitionnelle prévus par l’Accord d’Arusha ? Pourtant, si la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB) est décriée ces derniers jours; c’est que, par exemple, certains semblent ne plus se rappeler que la CNTB devrait faire partie intégrante des mécanismes de justice transitionnelle. L’ancien président SylvestreNtibantunganya a rappelé durant un récent atelier que l’Accord d’Arusha avait prévu une «Commission Nationale pour la Vérité et la Réconciliation dont la mise en place se fera sous forme d’une ‘Commission Vérité-Réconciliation’ avait entre autres  missions  d’arrêter ou proposer aux institutions compétentes ‘des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation et le pardon’ et de décider ‘la restitution aux ayants droit des biens dont ils avaient été dépossédés’ ou arrêter alors ‘des indemnisations conséquentes’ ou proposer ‘toute autre mesure politique, sociale ou autre visant à favoriser la réconciliation nationale qu’elle juge appropriée’».

Mais si la CVR et l’un des mécanismes les plus connus, le Sénateur Sylvestre Ntibantunganya a souligné une demi-douzaine de mécanismes qui, bientôt 14 ans après la signature d’Arusha, n’ont pas encore vu le jour :
-          La mise en œuvre d’un vaste programme de sensibilisation et d’éducation à la paix, à l’unité et à la réconciliation nationale ;
-          La création d’un observatoire national pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ;
-          La promotion d’une coopération régionale en vue de la création d’un observatoire régional  pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ;
-          La promotion d’un front national interethnique de résistance contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ainsi que la globalisation et la culpabilisation collective ;
-          L’érection d’un monument national à la mémoire de toutes les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l’humanité avec ces mots : « PLUS JAMAIS ÇA » ;
-          L’instauration d’une journée nationale de commémoration pour les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre l’humanité ainsi que des mesures permettant l’identification des fosses communes et l’enterrement des victimes dans la dignité.

Si l’esprit et la lettre de l’Accord d’Arusha guidaient réellement nos leaders et que tous ces mécanismes avaient été mis en place avec la meilleure des intentions, il y a à parier que le Burundi serait aujourd’hui un havre de paix politico-sociale totale. Les violences politiques ne seraient qu’une affaire du passé.Evidemment, même bien appliqué, l’Accordd’Arusha ne serait pas aussi sacréque la Bible pour les chrétiens burundais, mais il serait compris comme le document sacré de notre république dans son caractère laïc. Pour reprendre le slogan de plus de 500 associations et organisations burundaises, «Ne touchez pas au consensus d'Arusha». Il n’y a que garder Arusha dans notre constitution qui garantira l’intégrité de notre Accord pour la paix et la réconciliation. Une évaluation nationale et inclusive de cet Accord pourrait se faire après son application totale et complète.  Après une telle évaluation, les burundais dans leur diversité pourraient décider de garder le pacte socio-politique d’Arusha ou d’élaborer un autre document pour le remplacer. 

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