Par Thierry Uwamahoro
Ma foi chrétienne est scandalisée
que je puisse poser une question aussi maladroite et hérétique. Heureusement
que mes amis chrétiens sont tellement ‘chrétiens’ qu’ils/elles sont prêts à me
pardonner. Mais depuis un certain temps, dans leur frénésie d’amender la
Constitution, le gouvernement et le parti au pouvoir à Bujumbura tiennent un
certain langage anti-Arusha qu’il y a lieu de se demander s’ils comprennent (encore)
d’où Arusha a tiré le Burundi. Ils semblent atteints d’une amnésie qui ne leur
permet pas de voir cette différence nette entre le Burundi d’avant et après
Arusha. Leur phraséologie préférée est que l’Accord d’ Arusha n’est pas la
Bible.
Je ne saurais dire ce que
vaut la Bible pour un musulman, un athée, ou un animiste burundais. Vaut-elle moins ou plus que
l’Accord d’Arusha pour eux ? Il faudrait faire un sondage. Mais ce qui est évident est qu’Arusha a
nettement améliore la vie des chrétiens, musulmans, animistes, athées, hutu,
tutsi, twa, hommes, femmes, jeunes, et vieux burundais. Paradoxalement, les
Bibles dans les mains des Burundais depuis l’arrivée des colons n’avaient pas
empêché que l’on se massacre par centaines de milliers. Pour certains, il
faudrait absolument garder jalousement cet Accord plus qu’ils/elles
s’accrocheraient même à la Bible. Qu’à cela ne tienne.
Outre les changements de
position du député BonavenureNiyoyankana qui a su retenir toute une nation en
suspens, nous avons appris que le projet de modification de la
Constitution échoué au parlement pour
deux raisons : le parti au pouvoir tenait mordicus à ce que la nouvelle
Constitution ne se réfère plus à l’Accord d’Arusha et exigeait la suppression
de l’article 302 de la Constitution de 2005.En empruntant un langage religieux,
Il y a lieu de se demander quel saint ou démon inspire cette obsession contre l’Accord d’Arusha. Est-ce seulement pour faciliter
au président Nkurunziza de se présenter pour un troisième mandat (comme rendu
évident par cette autre obsession contre l’article 302) ou se pourrait-il que
le Cndd-Fdd n’a jamais cru dans l’Accord d’Arusha ?
Avec les derniers
évènements qui semblent indiquer que le Burundi renoue progressivement avec son
esprit d’antan d’exclusion politique et de violences politiques, il y a lieu de
pointer à cette à cette situation pour erronément conclure que c’est une preuve
que l’Accord d’Arusha n’était pas la médicine indiquée pour le Burundi. Mais
cela serait comme conclure que la faute est à la Bible pour un born-again qui aurait renoué avec le
banditisme. Si aujourd’hui le Burundi se trouve dans une spirale descendante
vers la violence, ce n’est pas parce qu’on a trop appliqué l’Accord d’Arusha.
C’est le contraire qui est vrai. Tel un convalescent dont la maladie s’empire
pour n’avoir pas suivi les instructions du médecin, le Burundi souffre de
l’application incomplète de l’Accord d’Arusha. Au lieu de ne plus se référer à
cet Accord, il faut plutôt l’appliquer pleinement.
Où sont les mécanismes de
justice transitionnelle prévus par l’Accord d’Arusha ? Pourtant, si
la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB) est décriée ces
derniers jours; c’est que, par exemple, certains semblent ne plus se rappeler
que la CNTB devrait faire partie intégrante des mécanismes de justice
transitionnelle. L’ancien président SylvestreNtibantunganya a rappelé durant un
récent atelier que l’Accord d’Arusha avait prévu une «Commission Nationale pour
la Vérité et la Réconciliation dont la mise en place se fera sous forme d’une ‘Commission
Vérité-Réconciliation’ avait entre autres
missions d’arrêter ou proposer
aux institutions compétentes ‘des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation
et le pardon’ et de décider ‘la restitution aux ayants droit des biens dont ils
avaient été dépossédés’ ou arrêter alors ‘des indemnisations conséquentes’ ou
proposer ‘toute autre mesure politique, sociale ou autre visant à favoriser la
réconciliation nationale qu’elle juge appropriée’».
Mais si la CVR et l’un
des mécanismes les plus connus, le Sénateur Sylvestre Ntibantunganya a souligné
une demi-douzaine de mécanismes qui, bientôt 14 ans après la signature
d’Arusha, n’ont pas encore vu le jour :
-
La mise en œuvre d’un vaste programme de
sensibilisation et d’éducation à la paix, à l’unité et à la réconciliation
nationale ;
-
La création d’un observatoire national pour la
prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre
l’humanité ;
-
La promotion d’une coopération régionale en vue de
la création d’un observatoire régional
pour la prévention et l’éradication du génocide, des crimes de guerre et
autres crimes contre l’humanité ;
-
La promotion d’un front national interethnique de
résistance contre le génocide, les crimes de guerre et autres crimes contre
l’humanité ainsi que la globalisation et la culpabilisation collective ;
-
L’érection d’un monument national à la mémoire de
toutes les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres crimes contre
l’humanité avec ces mots : « PLUS JAMAIS ÇA » ;
-
L’instauration d’une journée nationale de
commémoration pour les victimes de génocide, de crimes de guerre ou autres
crimes contre l’humanité ainsi que des mesures permettant l’identification des
fosses communes et l’enterrement des victimes dans la dignité.
Si l’esprit et la lettre
de l’Accord d’Arusha guidaient réellement nos leaders et que tous ces
mécanismes avaient été mis en place avec la meilleure des intentions, il y a à
parier que le Burundi serait aujourd’hui un havre de paix politico-sociale totale.
Les violences politiques ne seraient qu’une affaire du passé.Evidemment, même
bien appliqué, l’Accordd’Arusha ne serait pas aussi sacréque la Bible pour les
chrétiens burundais, mais il serait compris comme le document sacré de notre
république dans son caractère laïc. Pour reprendre le slogan de plus de 500
associations et organisations burundaises, «Ne touchez pas au consensus
d'Arusha». Il n’y a que garder Arusha dans notre constitution qui garantira l’intégrité
de notre Accord pour la paix et la réconciliation. Une évaluation nationale et
inclusive de cet Accord pourrait se faire après son application totale et
complète. Après une telle évaluation,
les burundais dans leur diversité pourraient décider de garder le pacte
socio-politique d’Arusha ou d’élaborer un autre document pour le
remplacer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire