mercredi 22 mai 2013

Vital Nshimirimana : « La société civile n’a pas le droit de désarmer ».

Vital Nshimirimana

J’ai décidé d’interviewer le nouveau Délégué général du Forsc Vital Nshimirimana sur les principaux défis de la société civile burundaise. Ci-après l’entretien.  

 Il y a a peu près un mois que vous avez pris vos responsabilités à la tête du FORSC. Quels sont vos principaux objectifs pour votre mandat ?
Les principaux objectifs pour le mandat découlent des textes régissant le FORSC. Il s’agit principalement de veiller à ce que la société civile burundaise continue à jouer un rôle clé pour  l’émergence de l’Etat de droit, caractérisé par le respect des valeurs universelles de respect des droits de l’homme, la démocratie et la bonne gouvernance. Le FORSC doit particulièrement affermir le plaidoyer sur l’indépendance de la magistrature, ce qui est une condition sine quoi none pour l’Etat de droit au Burundi. Evidemment, la constitution du Burundi assigne au pouvoir judicaire le rôle de gardien de droits et libertés fondamentales  de l’homme. A ce titre, les droits et libertés fondamentales de l’homme au Burundi dépendent absolument de la qualité des prestations de la justice burundaise, de sa crédibilité et de sa disposition à défendre ces droits.
Egalement, le FORSC doit continuer à montrer sa position sur les questions d’intérêt général notamment celles liées aux droits de l’homme, la gouvernance, les élections et la justice transitionnelle.

Quels sont les principaux défis du moment pour le FORSC et la société civile burundaise en général ?
La visibilité et la présence de FORSC sur terrain font que les citoyens attendent beaucoup de lui. Ceci est une fierté pour l’organisation mais aussi un défi. Et pour cause, le Burundi est envahi par la peur ; oui, il faut le dire, les citoyens burundais ont peur. Ceci est perceptible lorsqu’on entend les réactions des uns et des autres. Ceci contraste par ailleurs avec les attentes de la population qui est  dirigée par des institutions désignées par elle-même depuis presque une décennie mais  des dizaines voire des centaines de citoyens continuent à subir la torture, les exactions extra judicaires, les assassinats. Il découle de cette situation que plusieurs attendent que le FORSC prenne les devants dans la dénonciation et l’aide des victimes pour  rentrer dans leurs droits. Parallèlement, le FORSC doit travailler sur des questions épineuses de gouvernance et  de corruption, ce qui lui attire la colère de certains détenteurs du pouvoir public. D’autre part, la collaboration entre le FORSC ou la société civile en général avec les pouvoirs publics n’est pas toujours tendre. A certaines occasions, la société civile burundaise est assimilée à l’opposition, ce qui me paraît comme  une tentative de décrédibilisassions de la société civile. Il n’est pas rare d’entendre une accusation selon laquelle ceux qui défendent les victimes des abus des droits humains en ont fait un fonds de commerce ! De toutes les façons, la société civile n’a pas le droit de désarmer, il doit continuer à défendre les valeurs positives qui fondent toute société démocratique où chaque citoyen est totalement épanoui.


Nous approchons des élections de 2015, sachant que la période électorale est souvent teintée d’intense violence. Quel rôle la société civile entend jouer dans le déroulement des futures élections et la consolidation de la démocratie ?
Comme dans certains pays africains, on pourrait dire que la période électorale est toujours entourée de tension. Dans les grandes démocraties,  les élections amènent l’opinion à se demander : qu’est ce que le nouveau régime va nous apporter en terme de bien être, de développement économique, de justice sociale, d’augmentation d’emplois ou en général, quelle sera la solution pour les principaux défis auxquels le pays est confronté ? Aujourd’hui plus que jamais, la violence paraît être un outil clé pour la mobilisation forcée en vue d’adhérer à son idéologie politique. Tel est précisément l’attitude de la Jeunesse Imbonerakure  affilée au parti CNDD-FDD. Cette  jeunesse  sème la terreur, se substitue parfois  aux instances judicaires et de sécurité. Par endroit, cette jeunesse fait la  loi d’autant qu’elle s’assure de l’impunité pour ses actes. La société civile  a décidé de  prendre sa responsabilité face à cet état de fait. En effet, à côté des activités traditionnelles d’éducation citoyenne, de sensibilisation et de contribution pour l’émergence de l’Etat de droit, elle a lancé ce 17 mai 2013, la campagne contre l’intolérance politique où elle entend mobiliser tous les citoyens burundais pour dénoncer les agissements des Imbonerakure qui sèment la terreur et s’adonnent à divers actes de violence afin de les identifier, les lister, les enregistrer et faire rapport à qui de droit autant que saisir les instances judicaires au nom des victimes conformément au code de procédure pénale. En somme, cette campagne est une occasion pour la société civile et les citoyens ordinaires de refuser ouvertement que des gens continuent à mourir ou à être persécutés à cause de leur pensée politique.

Le Burundi est un pays qui sort de la guerre. Ou en est la justice post-conflit et que faire pour qu’elle réussisse ?
Il s’agit du chapitre qui évolue à pas de tortue. Que des promesses ont été données à plusieurs reprises mais aucune n’a été tenue. La volonté politique manque vraiment. Rien ne saurait expliquer qu’après plus d’une demie décennie que les consultations sur la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle on n’ait avancé d’un iota ! D’ailleurs, la justice transitionnelle est contenue dans l’Accord d’Arusha dont émane la Constitution du Burundi. Aujourd’hui, on envisage, à la nième fois, le vote de la loi sur la commission vérité réconciliation. Ce qui est davantage gênant, c’est que le gouvernement entend par justice transitionnelle, le seul mécanisme de vérité. Mais les standards internationaux exigent qu’il y ait également un  mécanisme judiciaire pour punir les coupables et statuer sur les réparations à allouer aux victimes. C’est d’ailleurs une question de logique parce qu’on ne peut pas aboutir à la réconciliation du peuple sans justice.  D’un autre côté, il faut résoudre les questions préalables comme celles relatives à la sécurité. En effet, dans un  contexte où les gens ont peur, il serait trop demander que de chercher la vérité au sein de la population dont l’attention est tournée davantage sur les questions sécuritaires!

Quelles sont les forces et les faiblesses de la société civile burundaise ?
La première force de la société civile burundaise c’est sa légitimité : elle travaille pour le peuple, le représente et est la voix des sans voix. Les membres de la société civile sont engagés, proactifs  et solidaires. La jeunesse de la société civile burundaise assortie par le manque de moyens financiers et logistiques freine l’engagement de certains.  

 Est-il facile de succéder à Pacifique Nininahazwe ?  Il est bouillant, vous paraissez plutôt calme.
Représenter le FORSC est une grande responsabilité. Cela demande beaucoup d’engagement et de don de soi. Je suis plein d’admiration et d’estime pour mon prédécesseur. L’assemblée générale l’a désigné Délégué Général d’Honneur, ce qui veut dire qu’il est une personne ressource pour l’organisation. Toute l’organisation va continuer à profiter de son expérience et sa sagesse. Je ne suis pas trop calme.

Pour ceux qui ne vous connaissent pas, qui êtes-vous, M. Vital Nshimirimana? Quel est votre parcours académique et professionnel ?
Je suis juriste de formation, j’ai exercé au sein de la magistrature pendant 8 ans et demi comme juge et substitut du procureur. J’ai des diplômes de Maîtrise en droits de l’homme et Résolution pacifique  des Conflits de l’Université du Burundi, Droit International et Comparé de l’Université de Limoges et Droit International et Règlement des Différends de l’Université des Nations Unies pour la Paix de Costa Rica.
Je vous remercie.

Propos recueillis par Jean-Marie Ntahimpera.

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