Thierry Uwamahoro |
Par Thierry
Uwamahoro
La nouvelle loi
« taisez-vous » sur la presse risque de couter le Burundi plus que la
liberté de la presse. Cette dernière, elle, est effectivement sans prix. Mais à
décortiquer les réactions qui ne cessent de tomber des partenaires du Burundi,
on peut commencer à estimer la somme que la nouvelle loi
« liberticide » coûtera au peuple burundais. Les calculs commencent par
une bagatelle somme de quatre mille milliards de Fbu, soit 2,6 milliards de
dollars américains.
Vous vous rappelez
sans doute de cette glorieuse journée d’Octobre 2012. Team Burundi avait aligné
ses meilleurs joueurs. Vers la fin du match, Gervais Rufyikiri dribla, puis passa
la balle à Pacifique Nininahazwe – alors délégué général du FORSC – qui déclara
que le Burundi était jusque-là un pays des libertés. Score final : 2,6
milliards de dollars pour l’équipe tricolore aux trois étoiles. Jubilations.
Le deuxième vice-président – littéralement tambour battant – ne pouvait pas cacher sa satisfaction
totale. Mais là, c’était à Genève, c’était en Octobre 2012…tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
La réalité, elle, attendait
jalousement à Bujumbura.
Il faudra
seulement quelques semaines après Genève pour assister à des violations grossières des
libertés et droits humains et un musèlement musclé de l’opposition politique. Un mois après,
Pacifique Nininahazwe dans une interview accordée au site Burundi Magazine faisait
l’évaluation suivante en ce qui est de la première leçon de Genève :
« Le monde nous observe. «
Nous allons aider le Burundi avec des yeux ouverts ». Les principaux
partenaires du Burundi ont insisté sur la résolution de quatre défis politiques
parallèlement aux avancées en matière économique : la lutte contre l’impunité
des auteurs des exécutions extrajudiciaires et de grandes malversations
économiques, la garantie des libertés publiques, le dialogue politique inclusif
en vue de la préparation des élections de 2015 et la mise en place consensuelle
des mécanismes de justice transitionnelle. Toute la question est de savoir si
cela a été bien compris par le gouvernement. Les récentes interdictions des
réunions des partis de l’ADC Ikibiri m’inquiètent. Contrairement à une certaine
communication, Genève n’a pas été une cagnotte à ramasser ni un chèque en
blanc. »
Effectivement,
les 2,6 milliards USD n’étaient pas un chèque en blanc, à l’exception peut-être
des 2 millions promis par l’Iran (soit 0,07% de la somme totale). C’est ainsi
que dans une récente interview accordée à l’agence de presse AFP, Tabu
Abdallah Manirakiza, ministre des finances, affirmait que «rien n'a (encore)
été débloqué…La crise est là, nous la vivons chaque jour ». Avons-nous un
gouvernement de sourds ? «Il n'est
pire sourd que celui qui ne veut pas entendre », dit-on.
Un proverbe
anglais qui est souvent cité comme la « loi des trous » nous rappelle
que « Quand on est au fond d'un trou, il faut arrêter de creuser ».
Comme si notre gouvernement devrait tout faire pour assurer la paupérisation et
une misère généralisée du peuple burundais ; du fond du trou, il creuse
d’avantage et se met toute la communauté internationale au dos. Nkurunziza n’a
pas été convaincant à son retour du Japon quand il rassurait l’opinion qu’il
avait consulté la communauté internationale, en Europe, aux Etats-Unis, etc. avant de promulguer cette loi anti-presse
« taillée à la mesure du Burundi » (il doit y avoir un Burundi d’une
taille bizarre enfouie dans le subconscient de Mr. Nkurunziza). A moins que Nkurunziza ne parlait des comités
du CNDD-FDD implantés en Europe et ailleurs, les déclarations des grands bailleurs
du Burundi -- la France, la Belgique, l’Union
Européenne, les Nations Unies – regrettent ou rejettent en bloc cette nouvelle
loi.
Une particularité
est à noter dans toutes les déclarations des bailleurs. Elles reviennent toutes
sur une rupture de contrat par le gouvernement Nkurunziza : «cette loi
n'est pas conforme aux standards internationaux auxquels le Burundi a adhéré,
ni aux engagements mutuels pris à la conférence des bailleurs de Genève» selon l’Union Européenne; «La France rappelle son attachement à
l'importance du rôle des médias dans la gouvernance démocratique. Ce principe
est inscrit dans le document-cadre signé par la France et le Burundi à
l'occasion de la visite à Paris du président Nkurunziza en mars 2013», déclare le
porte-parole du Quai d’Orsay avant d’ajouter « Nous appelons les
autorités burundaises à respecter la liberté de la presse et les engagements
pris lors de la conférence des partenaires du développement du Burundi à Genève.» ;
et Didier Reynders Ban, vice-premier
ministre belge et ministre des affaires étrangères boucler la boucle en
stressant, « le texte tel qu’adopté par le Parlement pose de très
sérieuses restrictions à l’exercice du métier de journaliste au Burundi et
n’apparaît pas en conformité avec les engagements que ce pays a pris en tant
que signataire du Pacte international relatif aux droits civils et
politique ». Ban Ki Moon a fait les mêmes remarques. Ainsi se
façonne un Etat paria.
Au revoir 2,6 milliards de dollars Américains !
Et c’est ici où le bât blesse. Une journée après l’adoption de la loi
controversée sur la presse, le représentant du Programme Alimentaire Mondiale à
Bujumbura tirait la
sonnette d’alarme sur l’indice de la faim extrêmement alarmant au
Burundi, le 2eme pays le plus faim du monde avec une indice moyenne de malnutrition
chronique pour les enfants de moins de 5 ans de 58% et qui va jusqu’à 71% dans
certains provinces (ce point ne peut pas être accentué suffisamment -- 8 ans
après le régime Nkurunziza, 71% des enfants de moins de 5 ans souffrent d’une
malnutrition chronique). Ceci pour ne citer qu’un seul indice de la misère au
Burundi. C’est dans un tel contexte que Nkurunziza trouve une certaine
« taille » du Burundi qui justifie mettre à feu 2,6 milliards
de dollars, soit 4,875,000 Fbu par tête ou environ 25 million de Fbu par
famille burundaise. Voilà le coût de la loi liberticide signée Nkurunziza.
Mr. le Président, il se pourrait que ce ne sont pas tous les burundais
qui comprennent ce que signifie les mots ‘liberté de la presse’, mais chaque
burundais comprendra ce que signifie quatre millions-huit-cent
soixante-quinze-mille Francs Burundais qu’ il a perdu juste pour que vous
puissiez dire ziba (taisez-vous)
à la presse. Vous, quoi qu’il arrive, vous aurez toujours votre cortège, vos
maisons luxueuses, vos hélicoptères, vos champs larges d’ananas, vos stades,
etc. Le manque à gagner sera absorbé par nous autres qui devons regarder aux
yeux 71% de nos enfants qui ont faim et leur dire qu’il n’y aura rien à manger
cette soirée non plus. Nous nous rappellerons en 2015.
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