mercredi 27 mars 2013

Le mal burundais. Entretien avec Déo Hakizimana


Déo Hakizimana est président du Cirid - Centre Indépendant de Recherche et d'Initiatives pour le Dialogue. Il a été candidat indépendant aux élections de 2010 au Burundi.

Quel est le mal burundais aujourd’hui? La pauvreté ? l’injustice ? l’exclusion ? 

Deo Hakizimana: Votre question est vaste. J'y réponds en appelant vos internautes à lire ces lignes avec beaucoup de générosité, mais sans concession avec ce principe-ci : un peuple qui ne connaît pas son histoire n’avance pas dans le bon sens.
Dans le cas du Burundi, j'ai la conviction que ce que l'on appelle pauvreté n’est pas une fatalité, j'aime dire que nous sommes une Nation riche en opportunités, mais qui manquent de visionnaires.
J’ai eu l’occasion de dire durant ma campagne électorale 2010, que notre pays est une sorte d’igikemanyi (j'utilise ce mot seulement dans son sens traditionnel le plus profond, que ne traduit pas suffisamment le terme "panier" en français). Il s'agit, disais-je, d'une sorte de panier fermé, rempli de quelque chose qui ressemblerait selon moi à des « lingots d’or » attendant les coffres d'un banquier aimable, honnête et compétent.
Car le pays est vert partout et les Burundais forment un peuple très laborieux, qui sait se dépasser quand c’est nécessaire : en 1961, le peuple a gardé le calme à l'appel du roi suite à l'assassinat du prince de l'indépendance. Ils ont réédité la même patience à la mort de Ngendandumwe. Depuis 1993, ils arrivent à accepter de fermer les yeux sur des trahisons successives, attendant le jour où on leur dira la vérité judiciaire sur son héros Ndadaye.
On nous a fait croire pendant des lustres que notre problème était exclusivement un problème hutu-tutsi, puis régional avant d'être clanique. Cela reste vrai, dans un sens, mais ce n'est plus déterminant: le peuple sait depuis fort longtemps que l’injustice et l’exclusion dont vous parlez ont été de tout temps la résultante d'une mauvaise gouvernance pratiquée par des systèmes de pouvoir déconnectés des réalités et qui entretiennent le fossé ville-campagne.
Regardez le pays sous l'Uprona au lendemain  de la victoire de septembre 1961; regardez le Frodebu après 1993 et la gestion qui nous est imposée sur les affaires sensibles (je parle surtout de la vérité sur notre passé) depuis plus de 7 ans. C'est la reproduction d'un même scénario ! Ce que je considère comme un mariage de raison entre l'ancien parti-Etat et la mouvance de 2005 - qui semblent s'entendre pour mettre un black out sur ce que j’ai appelé (toujours lors ma campagne 2010)  « un brouillard épais » empêchant l’avion Burundi de décoller  - diffère fort peu, dans la méthode, de ce que l'on a vu sous les régimes précédents, au moins sur notre droit de savoir et d'accéder à la justice.
c'est ici que je me permets d'être encore plus ferme en me demandant si le "Grand Nord" actuel n'est pas venu remplacer le Grand Sud des années 70-80, un sud qui était lui-même le fruit de certaines pratiques inadmissibles héritées "Grand Centre" traditionnel de Muramvya que je connais mieux. C'est pourquoi je suis un des rares à oser suggérer qu'il faudra un jour poser publiquement la question Hima pour mieux comprendre les errances de l'ère Micombero et consorts...  J'attire votre attention, par exemple, que lorsque l'Affaire Mwambutsa (un  autre casse-tête!) sera décortiquée par les historiens compétents, vous serez surpris. Une CVR bis s'imposera de facto.
Peut-être que j'ai comparé l'incomparable. Mais je crois que la question à remettre autour de la table, c'est celle de savoir comment notre pays, après avoir été dans la région Grands Lacs un des Etats les plus forts il y a plus d'une centaine d'années, allant jusqu'à obliger la puissante Allemagne impériale, grâce au "Traité de Kiganda" ,à respecter ses volontés après 4 ans de guerre, peut se tenir de manière si fragile!
Nous attendons en fait que nos dirigeants sachent puiser leur vision dans ce type de références historiques que certains historiens complices de nos périodes troubles ont tenté de cacher à nos étudiants.
Je veux dire en somme que le passé noir non assumé, non élucidé, suite au hold up fait sur notre doit à la Vérité est une tragédie sans nom. Je veux rappeler qu'à la Saint Sylvestre 2012, on nous avait annoncé l’arrivée de cette CVR pour février 2013 au plus tard. Or, si je suis bien informé, les cris de déception ont commencé à se faire entendre ce week-end, une semaine avant Pâques. Comme c'est le cas depuis 12 ans.
Pour moi donc, le mal du pays, c’est d’abord cela.

Vous aimez beaucoup une citation d’Albert Einstein qui dit : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Que devrions-nous faire pour éradiquer  le mal ou les maux burundais ?
Deo Hakizimana:  Nous n’avons pas à inventer la roue. L’essentiel a été dit et écrit. Il reste à en tirer les conséquences pratiques. A mon avis, la fameuse CVR en est une. Pour le reste, chacun doit faire ce qu’il peut, comme il peut, en pensant à l’avenir des générations futures. 

 Le prince Louis Rwagasore qui a cherché l’indépendance du Burundi avait un rêve, qui est toujours d’actualité : construire un Burundi paisible et prospère. Comment, 50 ans après l’indépendance, faire de ce rêve une réalité ?
Deo Hakizimana: S’agissant de Rwagasore et de son héritage, je me permets d’être actuel et rigoureux. Actuel car le message du Prince nous parle encore, aujourd'hui comme si c’était hier. Rigoureux parce que nous ne savons pas encore tout sur sa mort. Car c’est cette connaissance totale qui nous permettrait de mieux saisir la profondeur de son message et celles des stigmates que laisse sa tragique disparition. L’important étant de le faire pour construire, pour rendre justice à son combat, pas pour empoisonner des horizons encore fragilisés par le brouillard dont j’ai parlé tout à l’heure.  

 Dans un rapport publié le 25 octobre intitulé bye-bye Arusha, l’ONG International Crisis Group dénonce « un monopartisme de fait » depuis les élections de 2010, le manque de respect de la minorité politique et de la règle de droit, l’absence de dialogue entre le pouvoir et l’opposition, la mainmise du parti au pouvoir sur toutes les institutions et l’instrumentalisation des services de sécurité. Le Burundi est-il en train de perdre l’âme d’Arusha ? Comment rétablir cette tradition de dialogue entre les acteurs politiques qui était né avec les accords d’Arusha ?
Deo Hakizimana: Je voudrais être encore plus rigoureux en répondant à cette question. D’une part, l’accord d’Arusha était avant tout un instrument de recherche d’un consensus qui mènerait le Burundi vers un nouveau système politique enraciné dans une nouvelle constitution plus démocratique et dans de nouvelles mœurs plus acceptables à l’abri des coups d’Etat. C’est grâce à cela que nous avons évité un crash en 2005, malgré la tension qu’il y avait, car le FNL était toujours en dehors des institutions et les dérives qui ont caractérisé les premiers mois du nouveau pouvoir n’annonçaient pas de bonne nouvelles.  Finalement, le front de la paix a gagné et les élections 2010 dont on craignait qu’elles occasionneraient des casses graves se sont déroulées dans un calme d’une rare célébrité. Le lundi 24 mai 2010 était en effet un jour de printemps d’une beauté extraordinaire. En fait, ce qui s’est passé doit se comprendre comme étant la conséquence du fait que les principaux acteurs de l’époque ont oublié que le processus de paix avait été rapatrié à Bujumbura, que la communauté internationale avait terminé l’essentiel de sa mission et que le reste était avant tout l’affaire des Barundi eux-mêmes. Or, la majorité des leaders de l’époque, surtout dans l’opposition, ont choisi la stratégie de la chaise vide, celle du perdant. Et le parti présidentiel actuel, dont les ténors agissent comme l’on sait (ntibagira ikinya !) n’attendaient que cette occasion pour verrouiller le système. Nous avons crié pendant des semaines et des mois pour qu’un dialogue s’engage sur les anomalies réelles que nous avons vécues, sans succès. C’est pourquoi je félicite le BNUB d’être parvenu au récent atelier. Si cependant il s’est agi de dépenser de l’argent, pour se donner bonne conscience, sans se préoccuper d’agir sur les vrais enjeux et sur les vrais protagonistes d’un dialogue de qualité, la réalité burundaise les rattrapera, et c’est le peuple qui trinquera : c’est donc à ce dernier d’assumer la suite… Je prie mes compatriotes d’abandonner leurs habitudes de croire qu’il existe une communauté internationale qui va les aider s’ils sont incapables d’un minimum de consensus.

   Le World Report 2013 de l’ONG international Human Rights Watch publié récemment a conclu que le nombre d'assassinats politiques a diminué en 2012, après avoir enregistré  une forte hausse en 2011. Comment qualifiez-vous le phénomène de ce qu’on appelle désormais les “exécutions extrajudiciaires ? Sont-elles des affaires criminelles isolées ou le reflet d’une « guerre secrète » entre le pouvoir et l’opposition comme le disait un officier au journal Jeune Afrique ?
Deo Hakizimana: Il y a tout cela à la fois. Mais, en définitive, je préfère retenir que cela montre aussi que des progrès sont possibles et qu’ils nous  appartient, vous et moi et tous les autres de faire un effort dans le bon sens.

 Pourquoi les instituions de justice transitionnelle, à savoir la Commission vérité et réconciliation et le tribunal international prévus par les Accords d’Arusha  tardent à se mettre en place ? Pensez-vous que les Burundais connaitront enfin la vérité sur les pages sombres de leur histoire et la justice ?
Deo Hakizimana:J’ai déjà évoqué ces aspects dans les réponses antérieures. J’ajoute, comme dit une sagesse : le mensonge court, la vérité finit par le rattraper. Ça prendra du temps, peut-être, mais tôt ou tard, l’abcès sera crevé un jour. 

Vous avez rappelé vous même que vous avez été candidat indépendant aux élections de 2010. Quelles leçons avez vous tiré de ces élections ? Comment préparer des élections apaisées en 2015 ?
Deo Hakizimana: IL y en a deux. Mais il faut que je vous dise d’abord qua ma candidature était avant tout ce que les politologues appellant “une candidature de protestation” ou encore “Une candidature de combat”, quand quelqu’un veut se faire taire face aux voix injustes des détracteurs. J’ai pris la decision à la dernière minute, car je voulais absolument saisir la tribune officielle publiquement ouverte pour communiquer mon message que les autres candidats ne semblaient pas vouloir  assumer, du moins selon mon analyse. Puis, après les quatre mois d’intenses cogitations, j’ai retenu deux grandes leçons : 1) notre peuple, en dépit des freins liés à la misère, est un peuple averti. IL faut cependant savoir , comme dit Ban Ki-Moon, que cette pauvreté  peut affaiblir les coeurs et porter atteinte à la démocratie en ce sens que les groupes fragillisés vivent au jour le jour, parfois en fonction des forces qui profitent de leur vulnérabilité. 2) Mais j’ai vu aussi que nos populations ont soif d’un vrai leadership. Consultez les resultants électoraux du 23 juillet 2010 lors des legislatives: dans la province Muramvya (où je m’étais fait enroller et s’affrontaient 7 partis politiques et moi meme comme indépendant), j’ai fait un score supérieur  de très loin (plus de 25%) celuii d’un collectif de partis présentés comme un appendice du parti présidentiel! Regardez les rapports, par exemple celui de l’Union européenne, p.71 sur ce lien:  http://www.eueom.eu/files/pressreleases/other/final-report-burundi-2010_fr.pdf). C’est pourquoi je suis optimiste pour notre people. Le raz de marée que l’on a vu le 1er juin 1993, il pourrait le rééditer un jour, à la surprise générale …



Propos recueillis par Jean-Marie Ntahimpera.

Le blog de Deo Hakizimana http://deo-hakizimana.blogspot.com/

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