par
Thierry Uwamahoro
Cet article a été initialement publié par Zera en trois parties et reprend
toutes les trois parties que Zera a publie en un seul billet. Pour le situer
dans le temps, le billet a été rédigé une semaine après le fameux article de
Charles Obbo, qui a suscité beaucoup d’encre. L’auteur m’a demandé gentiment de
le republier dans Le Burundi Nouveau.
L'idée est que le Burundi a un atout à vendre: une réconciliation réussie.
Il faut bâtir sur cette fondation pour progresser.
Thierry Uwamahoro |
Un bataillon de bloggeurs, Facebookeurs,
Twitteurs et autres jeunes et moins jeunes burundais ont passé la semaine
dernière dans une cyber-guerre défendant vaillamment l’honneur de leur patrie
qui s’était retrouvée sous agression étrangère ougandaise par voix du
Kenya. A l’instar de Mwezi Gisabo
(repoussant Rumaliza et combattant les Allemands) et de Rwagasore (travaillant assidûment
pour nous défaire du joug colonial) ou de Ndadaye (combattant pacifiquement
pour une justice sociale longtemps niée) ; ces burundais en défensive
contre un certain Charles Onyango-Obbo étaient animés par un sens élevé de
patriotisme. Ils défendaient non seulement le Burundi physique (des hommes et
femmes, collines, vallées, lacs et animaux) mais aussi l’idée du Burundi ou le Burundi
idéal : concept pas facile à définir mais qui inclut ubuntu, justice sociale, prospérité,
hospitalité, paix sociale, lait et miel, et icubahiro
dans le concert des nations. Un Burundi idéal qui, en partie, nous échappe
depuis maintenant un demi-siècle. C’est de ce Burundi que Rwagasore parlait
dans son discours victorieux de 1961 quand il disait, « A cette heure
de la victoire du Parti, fût-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès,
car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après
l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi
paisible, heureux et prospère. »
Le Burundi dont rêvait Rwagasore est-il toujours possible ? Rêvons
avec le prince.
L’ingrédient principal de la
réussite vers ce Burundi se trouve dans un
billet que Deo Hakizimana a mis en ligne au début de la semaine passée. Mr.
Hakizimana écrivait que Bujumbura pouvait devenir une Genève Africaine si par
exemple notre pays décidait de« terminer son processus de paix en dialoguant
sérieusement avec ses opposants. » J’ai pris la latitude d’interpréter
« opposants » dans son sens le plus élargi au Burundi pour inclure
opposants politiques réels (ceux dans les partis politiques d’opposition) mais
aussi les opposants imaginaires du gouvernement de Bujumbura (comme les medias et la société civile).
Imaginez ce que serait le Burundi si il émergeait un leader visionnaire pouvant
rallier toutes ces forces vives de la nation vers un seul but : le
bien-être social de chaque burundais !
Au niveau régional, Deo
Hakizimana a déjà démontré qu’une fois la paix socio-politique rétablie au
Burundi, notre pays en sortirait diplomatiquement costaud. Evidemment, n’ayant
plus d’opposants à pourchasser manu militari, «notre Armée et notre Police
auraient l'une et l’autre des tâches spécifiques et complémentaires, qui
apportent un bol d’air inédit à ce que fait la communauté internationale »,
dixit Mr. Hakizimana. Il continue plus loin que «notre Armée…aurait la tâche de
surveiller la frontière frileuse qui va de Cibitoke aux confins de
Cyangugu (Rwanda) et de Bukavu (RDC) à Nyanza-Lac au sud aux portes de la
Tanzanie, pour la rendre imperméable par d’éventuelles nouvelles ‘forces
négatives’ » et « Notre Police, quant à elle, mieux recentrée et
aussi moins diabolisée par les adversaires naturels du régime du Président
Nkurunziza, veillerait à la sécurité interne. »
Effectivement, la paix
politico-sociale rétablie, notre police deviendrait réellement une force de sécurité
et ne serait plus utilisée pour tabasser ou tirer sur des partisans de l’ADC,
des journalistes, des syndicalistes, ou d’autres membres de la société civile.
Par ailleurs, dans une situation
de paix socio-politique, même les démobilisés – Imbonerakure et autres – pourraient
être mieux entrainés, encadrés puis envoyés sur les champs de bataille de l’
Union Africaine ou de l’ ONU pour neutraliser les « forces négatives »
du continent et rétablir la paix dans les zones les plus conflictuelles. Ces démobilisés
seraient payés en devises, leurs familles prospèreraient et les caisses de l’Etat
récolteraient des taxes sur leurs soldes ou salaires. Ce pari gagné, les journalistes
est-africains qui blaguent que le Burundi a besoin des affaires scandaleuses de
sexe pour se faire connaitre, seraient forcés de titrer dans leurs
rédactions respectives: « Burundi Becomes First East African Country
to Retrain Demobilized Combattants into UN Peacekeepers » ou bien
« Burundi Funds Free Maternal Health Services by Taxing Peacekeepers’ UN
Salaries ».
Dans les années 1980, Les Philippines
misant sur un besoin croissant d’infirmiers aux USA ont volontairement entrainé
un excès d’infirmiers – comme politique nationale – dans le but de les ‘exporter ‘ vers les
Etats-Unis et enfin profiter des rémittences. Le Burundi a un excès de
combattants, il est grand temps qu’on commence à les rendre utiles à notre
république. Si le gouvernement ne veut pas s’occuper d’un tel programme, des privés
pourraient le faire à l’instar des sociétés sud-africaines qui embauchaient des
combattants qui assuraient la sécurité des missions diplomatiques en Irak à coups
de milliers de dollars par mois.
Un Burundi où gouvernement et société civile collaboreraient effectivement
Ayant tiré les leçons qui s’imposent
de la réussite de la conférence des bailleurs de Genève, le leader visionnaire
Burundais impliquerait la société civile dans la gestion de la chose publique,
ou du moins considérerait la société civile comme partenaire de confiance. Par
exemple, une politique tolérance zéro contre la corruption impliquerait l’Olucome
dans son élaboration et dans son exécution. L’Olucome aurait un accès non-obstrué
sur la gestion des finances de l’Etat et des marchés publiques. Le gouvernement
travaillerait sur les rapports de l’Olucome pour corriger les points et
personnes défaillants. Le Parcem et l’OAG auraient un accès total à tous les données macroéconomiques de notre république
et leurs rapports serviraient à effectivement corriger les imperfections. Il ne
fera même pas six mois avant que l’East African écrit
dans ses colonnes, « Burundi Becomes First East African Country to Fully Integrate Watchdog
Groups Into Government Policies ». D’un coup, la
nouvelle voyagera à vitesse de croisière et les rapports de toutes ces ONGs
internationales qui nous regardent parleraient d’un Burundi qui est référence
de la gouvernance en Afrique sub-Saharienne.
Avec l’effet domino, les journaux
internationaux, reprenant les rapports de Transparency
International et International Crisis
Crisis Group, éditorialiseraient sur
un Burundi devenu pays exemplaire post-conflit. Des délégations des autres pays
post-conflits séjourneront au Burundi pour apprendre de notre expérience unique
(ils amèneront des devises dans leurs missions). Des touristes qui auront accidentellement
tombés sur une page du Figaro ou du New
York Times décrivant le Burundi comme une havre de paix où gouvernement, APRODHA
et FORSC enquêtent ensemble chaque mort inexpliqué, débarqueraient sur l’aéroport
de Bujumbura pleins de curiosités pour ce pays où Hutu, Tutsis et Twa sont supposément
différents mais se ressemblent, parlent la même langue, prient le même Dieu, et
habitent les mêmes collines (ces touristes amèneraient aussi des devises, achèteraient
des articles des artistes burundais, et resteraient dans les hôtels luxueux et
moins luxueux de Bujumbura -- dopant ainsi notre secteur hospitalier avec
plein d’emplois) .
La crédibilité du gouvernement du Burundi renforcée, des délégations
mixtes (ministres, membres de la société civile et même membres de l’opposition)
sillonneraient les capitales occidentales, orientales, et mêmes africaines à la
recherche des fonds pour financer des projets du gouvernement dont l’ultime but
est d’améliorer la vie du murundi. Imaginez
par exemple une délégation de Laurent Kavakure, Dr. Sabine Ntakarutimana,
Alexis Sinduhije, Pacifique Nininahazwe, Gabriel Rufyiri, et Leonard Nyangoma négociant
avec l’ Union européenne pour demander le financement d’ un projet de lancement
de la politique de couverture maladie universelle au Burundi avec la
promesse que ce programme sera plus tard financé par des taxes burundais
(rappelez-vous que dans ce Burundi que nous osons inventer 20,000 anciens
combattants ont été transformés en forces de maintien de la paix et paient des
taxes régulièrement et que des touristes se bousculent au Tanganyika beach pour dire que bientôt le
gouvernement aura suffisamment de revenus). Qui dira non à cette délégation ?
D’un coup, le Burundi établira un
programme de couverture maladie universelle. Un programme qui assurera les
soins de chaque burundais. Avec ce programme, il n’ y aura plus de requêtes
désespérées sur Facebook pour demander aux « amis » de venir à l’aide
de tel ou tel autre compatriote qui doit aller se faire soigner au Rwanda ou en
Inde. Je parie que le Nation au Kenya
sera amené à titre « Burundi Becomes First East African Nation to
Insure 100% of Its Citizens ». Nous serons l’envie de la région.
Dans ce Burundi, les fonds des bailleurs transiteraient par les caisses du
gouvernement
Avec les réussites des délégations
mixtes représentant les burundais auprès des bailleurs pour collecter des
millions (si pas des milliards) de dollars pour améliorer le bien-être des
burundais et étant donné que la crédibilité du gouvernement à gérer les fonds
en toute transparence a été établie, les aides destinées au Burundi passeront
directement par les caisses du gouvernement (aujourd’hui la plupart des
bailleurs qui financent le Burundi le font à travers des projets gérés par des
ONG internationales ou des cabinets privés basés en Occident qui emploient des
‘experts’ qui sont trop chers et qui, des fois, gèrent ces projets à profit –
nous perdons énormément). Les fonds transitant par le gouvernement permettraient
à celui-ci de mieux planifier, de financer ses priorités et les secteurs clés (énergie,
agriculture, éducation, santé, TIC, création d’ emploi, etc.), de payer des
salaires adéquats aux enseignants et aux infirmiers (au revoir les grèves répétitives),
et de recruter le personnel qu’ il faut pour assurer le bien-être de chaque
burundais (il est par exemple inacceptable que 2000 infirmiers et 200 médecins
burundais soient au chômage dans un pays qui affiche un des taux de mortalité
maternelle les plus élevés du monde et où plus de 90% des nouveau-nés ne reçoivent
pas des soins post-natales). L’argent des bailleurs au gouvernement, que
titrerait cette fois-ci The Independent d’Andrew
Mwenda ? « Burundi Successfully Requires All Donor
Funds to Go Through Its Very Transparent Government. »Tous nos
voisins se bousculeront dans les ministères à Bujumbura pour apprendre de notre
gouvernance.
Ce Burundi aura pleins de revenus pour financer le budget de l’Etat après
le départ des bailleurs
Au fur et à mesure que les
priorités du gouvernement seront financées et exécutées, l’économie burundaise
sera en accroissement. Des grandes, petites et moyennes entreprises verront le
jour. Le gouvernement collectera progressivement des taxes qui remplaceront les
aides étrangères dans le financement des projets sociaux. Le Burundi ayant occupés
les unes des grands journaux et medias du monde, des investisseurs étrangers atterriront
à Bujumbura avec des capitaux à mettre à l’œuvre (surtout qu’avec les rapports
trimestriels rassurant du Parcem – partenaire du gouvernement – ils auront
appris que notre macroéconomie est très stable). Sûr de lui-même et respecté
internationalement et diplomatiquement, le Burundi exigera ou négociera aux
pays puissants et limitrophes qu’une partie des taxes payés par des burundais
de la diaspora lui soit retournée. Les membres de la diaspora, ne doutant de la
transparence de leur gouvernement, feront le plaidoyer auprès de leurs
gouvernements hôtes pour que ce vœu du Burundi soit exaucé. Il sera alors au
tour du News Times d’annoncer « Burundi Successfully Negotiates Partial
Repatriation of Its Diaspora’s Taxes To Fund Agricultural Programs. »
Les autres est-africains ne croiront pas leurs yeux.
Il y a lieu de continuer à rêver (et
progresser du conditionnel au futur) et développer ce billet même plus…mais l’idée
essentielle est déjà là. Comme l’écrivait Deo Hakizimana dans le cadre du rôle potentiel
du Burundi dans la stabilisation de la région des grands lacs, le Burundi est
plein de potentialités qui restent inexploitées. Comme les ressources humaines
font toujours l’atout le plus prisé de chaque société (dans le sens de
pays/communauté ou entreprise privée), le Burundi pourrait bâtir un pays digne
de Rwagasore, une fois toutes les forces vives de la nation appelées à lui
servir sous un leadership visionnaire. « Nothing suceeds like success » (Rien ne réussit comme le
succès) nous disent les anglais. Si le texte en haut se lit comme un rêve,
c’est qu’effectivement j’ai un rêve qu’un jour ce Burundi sera possible. Osons l’inventer.
Succès après succès, nous y arriverons. Ainsi et seulement ainsi serons-nous réellement
indépendants. Ainsi habiterons-nous
« un Burundi paisible, heureux et prospère. » Rwagasore nous jugerait
à son tour à nos actes et c’est la satisfaction de notre héros qui serait notre
fierté.
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Thierry Uwamahoro, titulaire d’un master en développement international,
est analyste senior à la société Abt Associates.
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