samedi 27 juillet 2013

Osons Inventer un Burundi Digne de Rwagasore

par Thierry Uwamahoro

Cet article a été initialement publié par Zera en trois parties et reprend toutes les trois parties que Zera a publie en un seul billet. Pour le situer dans le temps, le billet a été rédigé une semaine après le fameux article de Charles Obbo, qui a suscité beaucoup d’encre. L’auteur m’a demandé gentiment de le republier dans Le Burundi Nouveau.
L'idée est que le Burundi a un atout à vendre: une réconciliation réussie. Il faut bâtir sur cette fondation pour progresser.

Thierry Uwamahoro
Un bataillon de bloggeurs, Facebookeurs, Twitteurs et autres jeunes et moins jeunes burundais ont passé la semaine dernière dans une cyber-guerre défendant vaillamment l’honneur de leur patrie qui s’était retrouvée sous agression étrangère ougandaise par voix du Kenya.   A l’instar de Mwezi Gisabo (repoussant Rumaliza et combattant les Allemands) et de Rwagasore (travaillant assidûment pour nous défaire du joug colonial) ou de Ndadaye (combattant pacifiquement pour une justice sociale longtemps niée) ; ces burundais en défensive contre un certain Charles Onyango-Obbo étaient animés par un sens élevé de patriotisme. Ils défendaient non seulement le Burundi physique (des hommes et femmes, collines, vallées, lacs et animaux) mais aussi l’idée du Burundi ou le Burundi idéal : concept pas facile à définir mais qui inclut ubuntu, justice sociale, prospérité, hospitalité, paix sociale, lait et miel, et icubahiro dans le concert des nations. Un Burundi idéal qui, en partie, nous échappe depuis maintenant un demi-siècle. C’est de ce Burundi que Rwagasore parlait dans son discours victorieux de 1961 quand il disait, « A cette heure de la victoire du Parti, fût-il le mien, je ne suis pas grisé par le succès, car pour moi et mes amis, la véritable victoire ne sera atteinte qu’après l’accomplissement d’une tâche difficile mais exaltante ; un Burundi paisible, heureux et prospère. »

Le Burundi dont rêvait Rwagasore est-il toujours possible ? Rêvons avec le prince.  

L’ingrédient principal de la réussite vers ce Burundi se trouve dans un billet que Deo Hakizimana a mis en ligne au début de la semaine passée. Mr. Hakizimana écrivait que Bujumbura pouvait devenir une Genève Africaine si par exemple notre pays décidait de« terminer son processus de paix en dialoguant sérieusement avec ses opposants. » J’ai pris la latitude d’interpréter « opposants » dans son sens le plus élargi au Burundi pour inclure opposants politiques réels (ceux dans les partis politiques d’opposition) mais aussi les opposants imaginaires du gouvernement de Bujumbura  (comme les medias et la société civile). Imaginez ce que serait le Burundi si il émergeait un leader visionnaire pouvant rallier toutes ces forces vives de la nation vers un seul but : le bien-être social de chaque burundais !

Au niveau régional, Deo Hakizimana a déjà démontré qu’une fois la paix socio-politique rétablie au Burundi, notre pays en sortirait diplomatiquement costaud. Evidemment, n’ayant plus d’opposants à pourchasser manu militari, «notre Armée et notre Police auraient l'une et l’autre des tâches spécifiques et complémentaires, qui apportent un bol d’air inédit à ce que fait la communauté internationale », dixit Mr. Hakizimana. Il continue plus loin que «notre Armée…aurait la tâche de surveiller la frontière frileuse qui va de Cibitoke aux confins de Cyangugu (Rwanda) et de Bukavu (RDC) à Nyanza-Lac au sud aux portes de la Tanzanie, pour la rendre imperméable par d’éventuelles nouvelles ‘forces négatives’ » et « Notre Police, quant à elle, mieux recentrée et aussi moins diabolisée par les adversaires naturels du régime du Président Nkurunziza, veillerait à la sécurité interne. »

Effectivement, la paix politico-sociale rétablie, notre police deviendrait réellement une force de sécurité et ne serait plus utilisée pour tabasser ou tirer sur des partisans de l’ADC, des journalistes, des syndicalistes, ou d’autres membres de la société civile.

Par ailleurs, dans une situation de paix socio-politique, même les démobilisés – Imbonerakure et autres – pourraient être mieux entrainés, encadrés puis envoyés sur les champs de bataille de l’ Union Africaine ou de l’ ONU pour neutraliser les « forces négatives » du continent et rétablir la paix dans les zones les plus conflictuelles. Ces démobilisés seraient payés en devises, leurs familles prospèreraient et les caisses de l’Etat récolteraient des taxes sur leurs soldes ou salaires. Ce pari gagné, les journalistes est-africains qui blaguent que le Burundi a besoin des affaires scandaleuses de sexe pour se faire connaitre, seraient forcés de titrer dans leurs rédactions respectives: « Burundi Becomes First East African Country to Retrain Demobilized Combattants into UN Peacekeepers » ou bien « Burundi Funds Free Maternal Health Services by Taxing Peacekeepers’ UN Salaries ».

Dans les années 1980, Les Philippines misant sur un besoin croissant d’infirmiers aux USA ont volontairement entrainé un excès d’infirmiers – comme politique nationale –  dans le but de les ‘exporter ‘ vers les Etats-Unis et enfin profiter des rémittences. Le Burundi a un excès de combattants, il est grand temps qu’on commence à les rendre utiles à notre république. Si le gouvernement ne veut pas s’occuper d’un tel programme, des privés pourraient le faire à l’instar des sociétés sud-africaines qui embauchaient des combattants qui assuraient la sécurité des missions diplomatiques en Irak à coups de milliers de dollars par mois.

Un Burundi où gouvernement et société civile collaboreraient effectivement

Ayant tiré les leçons qui s’imposent de la réussite de la conférence des bailleurs de Genève, le leader visionnaire Burundais impliquerait la société civile dans la gestion de la chose publique, ou du moins considérerait la société civile comme partenaire de confiance. Par exemple, une politique tolérance zéro contre la corruption impliquerait l’Olucome dans son élaboration et dans son exécution. L’Olucome aurait un accès non-obstrué sur la gestion des finances de l’Etat et des marchés publiques. Le gouvernement travaillerait sur les rapports de l’Olucome pour corriger les points et personnes défaillants. Le Parcem et l’OAG auraient un accès total  à tous les données macroéconomiques de notre république et leurs rapports serviraient à effectivement corriger les imperfections. Il ne fera même pas six mois avant que l’East African écrit dans ses colonnes, « Burundi Becomes First East African Country to Fully Integrate Watchdog Groups Into Government Policies ». D’un coup, la nouvelle voyagera à vitesse de croisière et les rapports de toutes ces ONGs internationales qui nous regardent parleraient d’un Burundi qui est référence de la gouvernance en Afrique sub-Saharienne.

Avec l’effet domino, les journaux internationaux, reprenant les rapports de Transparency International et International Crisis Crisis Group,  éditorialiseraient sur un Burundi devenu pays exemplaire post-conflit. Des délégations des autres pays post-conflits séjourneront au Burundi pour apprendre de notre expérience unique (ils amèneront des devises dans leurs missions). Des touristes qui auront accidentellement tombés sur une page du Figaro ou du New York Times décrivant le Burundi comme une havre de paix où gouvernement, APRODHA et FORSC enquêtent ensemble chaque mort inexpliqué, débarqueraient sur l’aéroport de Bujumbura pleins de curiosités pour ce pays où Hutu, Tutsis et Twa sont supposément différents mais se ressemblent, parlent la même langue, prient le même Dieu, et habitent les mêmes collines (ces touristes amèneraient aussi des devises, achèteraient des articles des artistes burundais, et resteraient dans les hôtels luxueux et moins luxueux de Bujumbura  -- dopant ainsi notre secteur hospitalier avec plein d’emplois) .

La crédibilité du  gouvernement du Burundi renforcée, des délégations mixtes (ministres, membres de la société civile et même membres de l’opposition) sillonneraient les capitales occidentales, orientales, et mêmes africaines à la recherche des fonds pour financer des projets du gouvernement dont l’ultime but est d’améliorer la vie du murundi. Imaginez par exemple une délégation de Laurent Kavakure, Dr. Sabine Ntakarutimana, Alexis Sinduhije, Pacifique Nininahazwe, Gabriel Rufyiri, et Leonard Nyangoma négociant avec l’ Union européenne pour demander le financement d’ un projet de lancement de la politique de couverture maladie universelle au Burundi avec la promesse que ce programme sera plus tard financé par des taxes burundais (rappelez-vous que dans ce Burundi que nous osons inventer 20,000 anciens combattants ont été transformés en forces de maintien de la paix et paient des taxes régulièrement et que des touristes se bousculent au Tanganyika beach pour dire que bientôt le gouvernement aura suffisamment de revenus). Qui dira non à cette délégation ?

D’un coup, le Burundi établira un programme de couverture maladie universelle. Un programme qui assurera les soins de chaque burundais. Avec ce programme, il n’ y aura plus de requêtes désespérées sur Facebook pour demander aux « amis » de venir à l’aide de tel ou tel autre compatriote qui doit aller se faire soigner au Rwanda ou en Inde. Je parie que le Nation au Kenya sera amené à titre « Burundi Becomes First East African Nation to Insure 100% of Its Citizens ». Nous serons l’envie de la  région.

Dans ce Burundi, les fonds des bailleurs transiteraient par les caisses du gouvernement

Avec les réussites des délégations mixtes représentant les burundais auprès des bailleurs pour collecter des millions (si pas des milliards) de dollars pour améliorer le bien-être des burundais et étant donné que la crédibilité du gouvernement à gérer les fonds en toute transparence a été établie, les aides destinées au Burundi passeront directement par les caisses du gouvernement (aujourd’hui la plupart des bailleurs qui financent le Burundi le font à travers des projets gérés par des ONG internationales ou des cabinets privés basés en Occident qui emploient des ‘experts’ qui sont trop chers et qui, des fois, gèrent ces projets à profit – nous perdons énormément). Les fonds transitant par le gouvernement permettraient à celui-ci de mieux planifier, de financer ses priorités et les secteurs clés (énergie, agriculture, éducation, santé, TIC, création d’ emploi, etc.), de payer des salaires adéquats aux enseignants et aux infirmiers (au revoir les grèves répétitives), et de recruter le personnel qu’ il faut pour assurer le bien-être de chaque burundais (il est par exemple inacceptable que 2000 infirmiers et 200 médecins burundais soient au chômage dans un pays qui affiche un des taux de mortalité maternelle les plus élevés du monde et où plus de 90% des nouveau-nés ne reçoivent pas des soins post-natales). L’argent des bailleurs au gouvernement, que titrerait cette fois-ci The Independent d’Andrew Mwenda ? « Burundi Successfully Requires All Donor Funds to Go Through Its Very Transparent Government. »Tous nos voisins se bousculeront dans les ministères à Bujumbura pour apprendre de notre gouvernance.


Ce Burundi aura pleins de revenus pour financer le budget de l’Etat après le départ des bailleurs

Au fur et à mesure que les priorités du gouvernement seront financées et exécutées, l’économie burundaise sera en accroissement. Des grandes, petites et moyennes entreprises verront le jour. Le gouvernement collectera progressivement des taxes qui remplaceront les aides étrangères dans le financement des projets sociaux. Le Burundi ayant occupés les unes des grands journaux et medias du monde, des investisseurs étrangers atterriront à Bujumbura avec des capitaux à mettre à l’œuvre (surtout qu’avec les rapports trimestriels rassurant du Parcem – partenaire du gouvernement – ils auront appris que notre macroéconomie est très stable). Sûr de lui-même et respecté internationalement et diplomatiquement, le Burundi exigera ou négociera aux pays puissants et limitrophes qu’une partie des taxes payés par des burundais de la diaspora lui soit retournée. Les membres de la diaspora, ne doutant de la transparence de leur gouvernement, feront le plaidoyer auprès de leurs gouvernements hôtes pour que ce vœu du Burundi soit exaucé. Il sera alors au tour du News Times d’annoncer « Burundi Successfully Negotiates Partial Repatriation of Its Diaspora’s Taxes To Fund Agricultural Programs. » Les autres est-africains ne croiront pas leurs yeux.
Il y a lieu de continuer à rêver (et progresser du conditionnel au futur) et développer ce billet même plus…mais l’idée essentielle est déjà là. Comme l’écrivait Deo Hakizimana dans le cadre du rôle potentiel du Burundi dans la stabilisation de la région des grands lacs, le Burundi est plein de potentialités qui restent inexploitées. Comme les ressources humaines font toujours l’atout le plus prisé de chaque société (dans le sens de pays/communauté ou entreprise privée), le Burundi pourrait bâtir un pays digne de Rwagasore, une fois toutes les forces vives de la nation appelées à lui servir sous un leadership visionnaire. « Nothing suceeds like success » (Rien ne réussit comme le succès) nous disent les anglais. Si le texte en haut se lit comme un rêve, c’est qu’effectivement j’ai un rêve qu’un jour ce Burundi sera possible. Osons l’inventer. Succès après succès, nous y arriverons. Ainsi et seulement ainsi serons-nous réellement indépendants.  Ainsi habiterons-nous « un Burundi paisible, heureux et prospère. » Rwagasore nous jugerait à son tour à nos actes et c’est la satisfaction de notre héros qui serait notre fierté.
…………………………………………………………………………………………………………

Thierry Uwamahoro, titulaire d’un master en développement international, est analyste senior à la société Abt Associates. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire